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LE SEUIL

LE SEUIL

 

 


Il la découvre sur son palier, assise sur la dernière marche, la robe noire épousant le creux de ses reins, le dos offert à la lumière tamisée du couloir. Elle ne bouge pas. Seule sa main, lentement, défait l’attache de ses cheveux, libérant quelques mèches folles sur sa nuque. Il hésite, retient son souffle. Elle attend.

Qui, quoi ? Il l’ignore. Peut-être un homme, peut-être une réponse, ou juste le frisson du vide sous ses pas. Le silence entre eux est dense, chargé d’une tension qu’il n’ose rompre. Une boîte d’allumettes repose près d’elle, abandonnée comme une évidence. Elle tend la main, effleure le carton du bout des doigts, puis se ravise. Il s’avance, à peine, un pas incertain sur le bois usé. Elle ne se retourne pas. Pas encore. Mais il sait déjà qu’elle a senti sa présence, qu’elle devine son trouble dans l’espace ténu qui les sépare. Un souffle. Un battement. Un instant suspendu. Quand enfin elle tourne la tête, son regard le traverse, impénétrable. Un sourire – ou peut-être rien qu’une ombre sur ses lèvres.

« Tu es en retard, murmure-t-elle.

Sa voix est douce, presque lasse. Il ne sait pas si elle l’attendait vraiment. Ni s’il aurait préféré qu’elle attende un autre. Il reste là, interdit, comme s’il venait d’entrer dans une scène qui ne lui était pas destinée. Elle, toujours assise sur cette marche, les jambes croisées sous l’ombre fluide de sa robe, l’observe enfin.

« Tu pensais que je dormirais ? » demande-t-elle, un léger sourire au coin des lèvres.

Il ne répond pas. Il aurait voulu qu’elle dorme, oui. Qu’elle ne soit pas là, offerte au vide, au temps, à une attente dont il ignore tout. Il avance d’un pas, frôle le garde-corps en fer forgé. La nuit est moite, lourde, il devine sous la lumière pâle la brillance d’une fine pellicule de sueur sur sa peau nue.

« Qui attendais-tu ? » finit-il par souffler.

Elle hausse les épaules, tourne le visage vers la porte close derrière elle. Un geste lent, presque paresseux. Comme si la réponse n’avait pas d’importance. Comme si elle-même ne la connaissait pas.

« Je ne sais plus ».

Elle tend la main vers la boîte d’allumettes à ses pieds, la fait glisser entre ses doigts sans l’ouvrir. Un tic nerveux, ou un jeu. Il sent une chaleur sourde monter en lui, un mélange de frustration et de fascination.

« Tu veux entrer ? demande-t-il, la voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.

Elle penche légèrement la tête, l’observe dans un silence qui l’épuise. Puis, sans un mot, elle se lève, lentement, sa robe glissant sur sa peau comme une ombre liquide. Elle s’approche, si près qu’il sent son souffle contre sa clavicule, un effluve de parfum mêlée à l’odeur de la nuit.

« Et toi demande-t-elle à son tour, le regard brûlant.

Il voudrait répondre. Dire qu’il ne sait pas. Ou qu’il sait trop bien. Mais elle a déjà effacé la distance, déjà posé la main sur la poignée de la porte, l’entrouvrant dans un soupir. L’air tiède de l’intérieur s’échappe, effleurant sa nuque, la sienne, les plongeant tous deux dans un vertige silencieux. Alors il entre. Ou peut-être est-ce elle qui l’aspire dans son mystère.

Un bruit sourd brise le silence. Trois coups secs contre le bois. Elle s’immobilise, la main encore sur la poignée. Il sent son souffle suspendu, son regard qui cherche le sien, une seconde d’hésitation à peine perceptible.

— Ton voisin, ? murmure-t-il.

Elle esquisse un sourire fugace, presque amusé. Son voisin. Ce vieux monsieur solitaire qui vit en face, celui qui fume sur le palier en basculant sa chaise contre le mur, celui qui la salue d’un simple mouvement de tête, sans jamais poser de questions. Que veut-il, à cette heure ? Elle hésite, puis finit par ouvrir. L’homme est là, vêtu d’un peignoir beige, un journal roulé sous le bras, ses yeux clairs balayant tour à tour son visage, puis celui de l’homme derrière elle. Il n’a pas l’air surpris. Ni curieux. Juste fatigué.

« Tout va bien ? » demande-t-il, sa voix éraillée par l’âge et le tabac.

Elle acquiesce, passe une main distraite dans ses cheveux défaits.

« Pourquoi ? »

Le voisin hausse les épaules, l’air de chercher ses mots. Il jette un regard furtif à la boîte d’allumettes posée sur le sol.

« J’ai cru voir quelqu’un rôder en bas », murmure-t-il enfin.

Elle fronce les sourcils, se tourne légèrement vers lui, une tension imperceptible dans la courbe de sa nuque.

« Quelqu’un ?

Le vieil homme hoche la tête.

— Une ombre. Juste là, au pied de l’escalier. Ça n’a duré qu’une seconde. Puis plus rien. »

Le silence se faufile entre eux. Elle le sent peser dans l’air moite du couloir, glisser contre sa peau déjà frissonnante. Derrière elle, il ne bouge pas, mais elle sait qu’il écoute, qu’il sent ce même trouble la gagner.

« Ça devait être un passant, souffle-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.

Le voisin la fixe encore un instant, puis, sans insister, il acquiesce lentement.

— Sans doute. »

Et il tourne les talons, sa silhouette fatiguée disparaissant derrière sa porte.

A nouveau sur le seuil, elle reste Reste un instant figée, le dos contre le bois, les paupières closes. L’ombre. L’attente. L’étrange frisson qui refuse de la quitter.

Quand elle ouvre enfin les yeux, il est toujours là, planté au milieu de la pièce, le regard ancré au sien.

— Tu crois qu’il a raison ? demande-t-il.

Elle ne répond pas tout de suite. Quelque chose flotte encore en elle, une sensation diffuse, puis elle éclate de rire ! Il la regarde, interdit, tandis que son rire éclate, clair et léger, brisant la tension flottante de la nuit. Ce n’est pas un rire moqueur, non, c’est un rire teinté de malice, une note espiègle dans le mystère qu’elle tisse autour d’elle. Il fronce les sourcils, légèrement décontenancé.

— Qu’est-ce qui te fait rire ? demande-t-il, la voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.

Elle secoue la tête, se mord la lèvre comme une enfant prise en faute, mais son regard brille d’une lueur amusée.

— Toi, murmure-t-elle. Et moi. Toute cette mise en scène.

Elle s’écarte de la porte, s’avance lentement, la robe effleurant ses jambes comme une vague noire. Il sent son parfum avant même qu’elle ne soit tout à fait près de lui, un effluve chaud et troublant.

— Tu veux un secret ? souffle-t-elle, à quelques centimètres de lui.

Il hoche à peine la tête. L’air s’est épaissi entre eux. Elle lève alors la main, lentement, et du bout des doigts, elle attrape la boîte d’allumettes. Elle la fait tourner entre ses paumes, comme un objet précieux, avant de la lui tendre.

— Ce n’est pas un indice, glisse-t-elle, mutine. Juste une habitude. J’aime avoir une boîte d’allumettes sur moi.

Il frôle le carton du regard, puis revient à ses yeux.

— Et l’ombre en bas ?

Elle sourit. Un sourire à la fois innocent et terriblement coupable.

— Peut-être un fantôme. Ou peut-être…

Elle laisse sa phrase en suspens, se détourne, et dans le même mouvement,elle lève agite un trousseau de clés entre eux.

— …mon sauveur de la soirée.

Il plisse les yeux, intrigué.

— Ton sauveur ?

Elle acquiesce, l’air faussement grave.

— J’avais oublié mes clés à l’intérieur. Et l’ombre inconnue et furtive n’est autre que le coursier qui m’a apporté mon double.

Un silence. Puis il cligne des yeux.

— Attends…

Elle éclate à nouveau de rire, recule d’un pas, le défiant du regard.

— Tu as cru quoi ? Que j’étais une femme fatale errant dans l’attente d’un amant perdu ?

Il serre la mâchoire, partagé entre amusement et frustration.

— Tu joues avec moi.

— Un peu, oui.

Elle penche la tête, le regard brûlant.

— Ça ne te plaît pas ?

Il ne répond pas tout de suite. Elle est là, devant lui, provocante et insaisissable, une énigme qui se rit d’elle-même. Une femme qui s’amuse du désir qu’elle provoque, qui le tisse comme une toile autour d’elle. Il la contemple, longuement, puis avance d’un pas, réduisant à néant l’espace entre eux. Il sent son souffle ralentir, comme si elle attendait quelque chose.

— Si, murmure-t-il enfin. Ça me plaît.

Son sourire vacille, juste un instant. Un battement de cils. Une hésitation presque imperceptible. Puis elle tend la main vers lui, l’effleure, du bout des doigts, sur le revers de sa chemise.

— Alors entre, souffle-t-elle.

Elle recule, ouvre la porte en grand, le toisant avec une lueur espiègle.

— Après tout, tu es mon invité.

Et dans son regard, une promesse. Ou peut-être juste une nouvelle illusion.

Il reste là, sur le seuil, l’espace d’un instant, à contempler cette femme dont le rire vient à peine de mourir sur ses lèvres. Une illusion, se dit-il. Une illusion aussi déroutante que la vision si féminine coupable de la situation. Tout en elle n’est que trouble et contradiction : le jeu et l’abandon, l’assurance et l’attente, la mise en scène et l’imprévu.

Elle le regarde encore, ses doigts effleurant distraitement le trousseau de clés comme si elle en mesurait le poids, comme si ce simple geste pouvait faire basculer la nuit dans un sens ou dans l’autre.

— Tu ne me fais pas entrer ? demande-t-il enfin, la voix feutrée.

Un sourire glisse sur son visage, plus lent cette fois, plus voilé.

— Tu crois vraiment que tu as besoin de mon invitation ?

Il n’a pas le temps de répondre. Elle se détourne déjà, s’éloigne d’un pas, et son ombre s’étire sous la lumière tamisée. Il la suit, fasciné malgré lui par la façon dont sa robe épouse la courbe de ses hanches, par cette tension qui danse encore dans l’air, malgré le rire, malgré l’absurde légèreté de la situation.

Dans la pièce, un parfum subtil flotte, entre fleurs blanches et bois chauffé par la chaleur du jour. Elle pose les clés sur une console, s’appuie contre le meuble, le visage levé vers lui.

— Déçu ? murmure-t-elle.

Il fronce les sourcils.

— De quoi ?

— Que je ne sois pas une femme en détresse.

Il esquisse un sourire en coin, glisse les mains dans ses poches.

— Et si je préférais les femmes dangereuses ?

Un éclat passe dans ses yeux.

— Alors tu es servi.

Elle pivote, ouvre un tiroir, en sort une petite fiche cartonnée qu’elle tend vers lui. Il l’attrape, intrigué.

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Il lève un sourcil, mais elle ne le laisse pas parler. Elle s’approche, efface la distance en une lenteur calculée.

— C’était ma dernière visite de la journée, murmure-t-elle, le regard brûlant.

— Et moi, je suis quoi ?

Elle hausse les épaules, effleure son poignet du bout des doigts.

— Une erreur. Une tentation. Un simple spectateur qui a eu la malchance de se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment.

Ou peut-être était-ce l’inverse.

Le silence pulse entre eux. Elle n’attend plus de réponse, plus de questions. Seulement l’instant qui vacille, qui hésite encore à se laisser happer.

— Alors, tu le prends, cet appartement ? souffle-t-elle, ses lèvres à quelques centimètres des siennes.

— Ça dépend.

— De quoi ?

Il glisse une main sur sa taille, lentement.

— Du contrat.

Elle sourit. Un sourire coupable, féminin, déroutant

 — Crois-moi, murmure-t-elle, je suis une propriétaire très… arrangeante.

Et cette fois, ce n’est plus un jeu. Plus tout à fait.

 

DO

 

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