Très souvent, au cours de notre existence, nous voyons nos rêves déçus et nos désirs frustrés, mais il faut continuer à rêver, sinon notre âme meurt.
Paulo Coelho (1947- )
Le 20 décembre 2009, je mettais en ligne la première partie d’une nouvelle qui aurait du être écrite jusqu’au bout à quatre mains. Or depuis mon coauteur hyperbooké, m’a abandonnée en cours de route dans l’écriture de cette nouvelle.
En conséquence je vous livre ici l’intégralité jusqu’à aujourd’hui écrite et vous laisse seul juge pour me signifier si je dois continuer cette histoire seule ou la laisser mourir
A moins que l’un d’entre vous, remplace dans ce jeu du cadavre exquis, mon coauteur, à raison d’une page par quinzaine en alternance …avec moi
Vous pouvez m’écrire pour déposer votre candidature …
Mai 2005, par une belle après midi de printemps.
Les marronniers arboraient leurs parures florales printanières en des touches colorées rouges et roses, les parcs de la capitale regorgeaient déjà de parterres odorants et éclatants.
Après m’être longuement promenée sur les berges du quai Bourbon, recherchant la douceur des premiers rayons de soleil sur l’encore pâleur de mon visage, blafard reflet d’un hiver trop long et trop pluvieux, je rejoignais la rue de grenelle.
Fascinée par la peinture autrichienne, et particulièrement Gustav Klimt, j’étais toujours à la recherche d’une exposition consacrée au peintre. Cette soudaine passion était intervenue après que j’ai reçu en cadeau un merveilleux bouquin d’art : « L’apocalypse Joyeuse » édité à l’occasion de l’exposition « Vienne 1880-1938 » que le Centre Pompidou avait accueillie en 1986.
Le musée Maillol exposait en ce printemps cent vingt dessins érotiques de l’artiste. La conjugaison de l’art et de l’érotisme avait donc attiré mes pas vers cette exposition temporaire. La nudité artistique m’ayant toujours envoûtée, je m’étais moi-même essayée artistiquement dans cette catégorie, couchant sur le papier, au fusain, des courbes féminines, nues ou semi nues, souvent empreintes de désir, voluptueuses et caressantes. Cela m’avait amusé à une certaine période de ma vie, mais par manque de place et de temps, j’avais abandonné progressivement mes esquisses pour les oublier définitivement au fond d’un vieux carton à dessin.
Il était aux alentours de seize heures lorsque je pénétrais dans les locaux très peu fréquentés en cette aussi délicieuse journée. Une aubaine avait- je songé, je n’aime pas les musées ou autres galeries bondées de visiteurs plus ou moins disciplinés, j’allais pouvoir prendre le temps de la découverte dans les moindres détails.
J’entamais la visite avec la foi d’une véritable esthète, ou comme une experte en dessins érotiques. Je m’attardai un instant devant le « Nu recroquevillé », l’une des plus célèbres esquisses de l’artiste, puis poursuivant mon parcours initiatique, je m’extasiai sur un dessin en particulier. Il datait de 1906 et représentait, avec beaucoup de réalisme, une femme à demi-nue, la jambe droite relevée, en train de se caresser, ou peut être déjà en pleine jouissance solitaire, le reflet d’une femme dans sa totale disponibilité sexuelle.
C’est alors que je fus interpellée par la voix d’un homme aux résonances gutturales, mais auxquelles je n’aurais pu attribuer un pays scandinave en particulier.
Je me retournai, et étrangement guidée par le son de sa voix, je posai mon regard uniquement sur la partie inférieure de son visage, et plus particulièrement sa bouche, une bouche attirante, à embrasser dans cette atmosphère érotique dominée par la sensualité et la volupté des « Papiers érotiques » de Klimt.
Tout aussi étrangement, ça n'était pas à moi que l'homme s'adressait. Pourquoi l'aurait-il fait d'ailleurs ? Je n'avais aucune connaissance dans ce quartier, et je n'attendais personne. Pourtant, c'était bien moi qu'il fixait et non cette demi-blonde, trop jeune pour être sa fille et pas assez vieille pour être sa femme, à qui devait s'adresser ce qui ressemblait à une invective.
Alors que l'autre femme s'avançait vers lui, je vis son regard quitter mon visage pour glisser, lentement, trop lentement, le long de ma silhouette. Avait-il admiré avec autant de soin, de plaisir peut-être, les esquisses exposées autour de lui ? La question me traversa l'esprit, sans que j'en comprenne la raison. Une chose était sûre pourtant : l'intensité de ce regard insuffla en moi le sentiment flatteur et troublant que de l'exposition il découvrait le meilleur.
J'aurais dû me retourner, signifier ma gêne, ou mon dédain, quelque chose enfin, mais je restai là, figée telle ces esquisses sous verre, flattée même de pouvoir, dans le regard profond et vrai de cet homme, être comparée à l'une d'elle. Et l'envie folle me prit — interdite aussitôt tant elle était ridicule — de suggérer moi aussi la posture lascive d'un de ces croquis qui m'avaient envoûtés.
Je restai malgré moi sous l'emprise magnétique de ce regard, un regard exempt de toute once de vulgarité, qui me faisait découvrir à mon insu, comme par enchantement, dans un temps arrêté, la sensation troublante, grisante, que pouvait ressentir le modèle nu devant l'artiste. Il était l'artiste et je désirais de tout mon corps devenir le modèle de son œuvre.
Il mit fin à cette hypnose insupportable et délicieuse en s'approchant de moi, en me tendant sa carte, que j'acceptais du bout des doigts, sans comprendre un seul des mots qu'il prononça dans un français pourtant sonore. Je balbutiai même quelque idiotie que je regrettai aussitôt, mais il avait déjà quitté la galerie, et le temps reprenait brutalement son cours.
Je ne regardai pas la carte qu’il venait de me donner, la glissai dans la poche de ma veste, et poursuivrai la visite.
Mais le regard avec lequel il avait enveloppé ma silhouette m’avait détournée du profond intérêt que je portais aux esquisses de Klimt. Au fur et à mesure de mon évolution dans cet espace feutré qui est celui d’un musée ou d’une galerie, je juxtaposai sur chacun des modèles exposées, ma propre image, dans la pire des positions érotiques. Ma visite avait soudain pris une nouvelle résonance, des notes voluptueuses s’accrochaient à chacune de mes pensées tentant d’analyser la vision de l’artiste. Il s’était soudain concrétisé par le biais d’un inconnu qui m’avait mis le temps d’un instant la fièvre au ventre, qui avait éveillé en moi de bien troublants émois.
Je plongeai ma main dans la poche, tentée de découvrir le prénom du trublion qui avait empourpré mes joues par le biais de ses pensées que je pensais malsaines ou pour le moins empreintes d’une certaine gourmandise dont je ne vérifierai peut être jamais la teneur. Mais ma main restait aussi figée que les modèles par l’artiste croqués. Je ne savais si je devais attribuer cette soudaine inertie au refus de succomber à la tentation de l’appeler illico presto, ou bien à une soudaine émotion dont je n’avais pas ressenti les frissons depuis fort longtemps et qui me paralysait.
Un vent de panique m’avait envahie, j’avais décidé de laisser la carte dormir au fond de ma poche ...et avait poursuivi mon périple artistique.
Lorsque je quittais la galerie, le jour était en train de s’enrober de la magie du crépuscule, cette luminosité particulière qui fait qu’à tout moment, il vous semble qu’il peut vous arriver un événement exceptionnel qui changerait le cours de votre vie.
Des passants anonymes, certainement heureux de rentrer chez eux retrouver leur compagne ou le nid douillet de leur intérieur, après une lourde journée de labeur, pressaient leurs pas sur les trottoirs. Aucune attention, seul un empressement se dégageait de chacun des inconnus que je croisais. A la recherche d’un réconfort dans la solitude de ma vie, j’attendais inconsciemment un signe si minime et anodin soit-il, un sourire, un banal bonsoir, mais c’est bel et bien dans l’ignorance générale que je gagnais le premier bar qui croisait ma route.
L’air était doux, je laissais traîner mes pas, attentive au moindre bruit ou odeur qui titillait mes sens en alerte.
Enfin attablée dans un petit bar exigu et bruyant, je commandais un café puis appelais mon ami Christine, impatiente de lui raconter la rencontre que je venais de faire.
Il m’était impossible de ne pas partager le trouble provoqué par le simple regard appuyé d’un inconnu dont je gardais encore en image la bouche, cette bouche qui m’avait murmuré quelques mots sans que j’en aie compris la signification certainement banale.
C'est alors qu'elle riait à l'autre bout du fil — bien que ces fils aient disparu depuis longtemps… —, me demandant ce que j'attendais pour l'appeler tout de suite, ce devait être un artiste, un génie peut-être ! que l'improbable se produisit. Dans un film, dans un roman, on aurait crié à l'invraisemblance, à la ficelle mal nouée : il entrait dans le bar, seul, vêtu d'une autre veste qui me laissa penser qu'il habitait le quartier. C'était lui, à nouveau, lui dont je me résolvais déjà à ne conserver le souvenir que dans un coin reclus de ma petite étagère intérieure, celle pliant sous le récit de mes fantasmes intimes.
Il était là, à la porte, et je sentis la violence de mon cœur sous mes seins, brutalement agité. Je n'en croyais pas mes yeux et, par un réflexe idiot, je me retournai dos à lui. « Allô ?… Tu es là ?… ». Je murmurai un « oui, je dois te laisser » à Christine et raccrochait aussitôt. Comment savais-je avec tant d'intuition qu'il était là pour moi ?
J'avais à peine rangé le portable dans mon sac qu'une main se posa sans lourdeur sur mon épaule. En levant les yeux, je le vis dans le miroir, juste derrière moi, attendant que je me retourne, comme une peinture figée dans les couleurs baroques de ce bar à l'ancienne, une scène de la vie quotidienne, mais riche de promesses et évocatrice : un homme dans le dos d'une femme, la main posée sur son épaule, attendant peut-être qu'elle ne se lève pour partir avec lui.
Il me sourit. Je me retournai en prenant une profonde et discrète respiration. Non, je n'étais plus la petite fille qui glissait une chaise sous la poignée de la porte pour empêcher mes frères et leurs copains de pénétrer dans la salle de bain pendant que je me douchais. Non, je n'étais plus la frêle étudiante rougissante qui se levait entre les tables pour réciter son cours, pétrifiée par les regards qu'elle sentait couvrir comme une robe d'épines sa silhouette à la sensualité naissante.
Non, j'étais une femme à présent, accomplie, et qui ne se troublait plus de ses armes, qui avait appris à les dompter, à les manier même savamment lorsque le désir m'inspirait. Aussi décidai-je de relever lentement les yeux vers lui, pas trop vite, comme un dompteur qui donne à ses tigres, par ses coups de fouet, la cadence du numéro.
A croire que ce type avait un don. Je détaillai sa silhouette, un peu à la manière d’un étudiant des beaux arts qui tente de délimiter dans l’espace, les premiers contours de sa future œuvre. Mais pas que… Un je ne sais quoi de plus dérangeant avait volontairement teinté mon regard dans la poursuite de mon estimation. Ces quelques minutes de reconnaissance auraient pu paraître interminables à n’importe quel homme aussi impudiquement scruté par une femme. N’importe lequel, mais pas lui. J’envisageai sa stature, sa carrure, sa taille, le bombé de son cul musclé, jusqu’à son entre- jambe, n’avait plus de secret pour moi. À vrai dire, j’ai cette sale habitude, bien malgré moi, lorsque je rencontre un homme séduisant, de laisser trainer une œillade coquine juste en dessous de sa ceinture.
Par ailleurs, je fais toujours preuve de délicatesse et de discrétion dans ce genre de situation, mais plus audacieux que les autres, il avait fait en sorte que nos regards se croisent au moment crucial. L’inattendu de la collision optique m’avait arraché un sourire encanaillé auquel il me répondait par un soupçon d’amusement au bord de ses paupières. Tout ceci n’avait duré que quelques fractions de secondes, secondes épicées d’une complicité qu’il me renvoyait en plein visage comme une éclaboussure, sans un mot prononcé.
Un ange diabolique avait suspendu le temps, la durée de notre confrontation érotique.
– Je ne pensais jamais vous revoir. Nous avions prononcé la même phrase en même temps.
Il avait réglé mon café, s’était dirigé vers la sortie, je l’avais suivi. Son assurance m’avait désorientée et sa nouvelle tenue troublée.
Sous une veste fluide en daim fauve, il arborait avec panache un petit polo moulant au logo d’une grande ligne de vêtement sportif et un jeans noir, basique mais infaillible pour la femme que je suis.
– Et maintenant où allons-nous, me demandait-il avec innocence mais un regard insoutenable.
– Chez toi, qu’en penses-tu ?
Que m’avait-il pris de le tutoyer ainsi, de le circonscrire ainsi. Sur l’instant, je ne me posai pas la question, après tout n’était-il pas revenu vers moi ?…
Mais je songeai soudain que je ne connaissais même pas son prénom pour avoir négligé la carte de visite qu’il m’avait donné plus tôt.
À bien y songer à présent, j’allai où mes envies me portaient et mes envies, si audacieuses soient-elles, me poussaient à le suivre. Mes mains brûlaient déjà d’un désir illicite de se glisser sur son torse troublant, réclamaient d’être emprisonnées sous le tissu de coton noir.
Je détaillai alors son visage dont seule la bouche m’avait intriguée auparavant… Ce mec, je veux dire « ce bel inconnu » dont la virilité transpirait de chacun de ses pores, cette gueule harmonieusement dessinée malgré la pose géométrique de ses traits anguleux, m’inspirait désir et mystère. Le désir était entier, le mystère restait à élucider.
Je fouillai le fond de ma poche, en tirai la carte de visite, m’inquiétai précipitamment de son prénom et renouvelai ma question.
– Jørgen, je te disais donc, chez toi, à moins que…
Il ne répondit pas, mais interrompit brusquement sa marche et se retourna, un large sourire aux lèvres.
– Jørgen, répéta-t-il avec éblouissement, dans un accent certes plus prononcé que le mien. J'aime « Jørgen » dans votre bouche !
Il ne croyait pas si bien dire. Oh oui je le voulais dans ma bouche ! Et pas plus tard que tout de suite ! Oh ce sourire ! Ce trop large sourire qui venait de me harponner par surprise au beau milieu du trottoir ! Il avait sorti sans prévenir l'arme fatale, celle qu'il aurait dû garder sagement en réserve, pour les grands soirs de doute ou de suspicion.
Je m'approchai soudain de lui et le tirai en arrière, accroché à ce sourire, pour disparaitre derrière une porte cochère qui se refermait lentement, derrière un locataire qui avait depuis longtemps quitté les lieux.
Je l'avais plaqué contre le mur de pierre de taille quand la porte finit sa course, nous abandonnant dans une obscurité incertaine. Ma bouche mangeait déjà la sienne. Et ma main, glissée entre ses cuisses, frottait du plat de sa paume crispée, insistante, la bosse de son sexe qui ne mit pas longtemps à se roidir dans son jean.
Il avait décidé de se laisser faire, les mains appuyées en arrière contre le mur, comme s'il avait deviné très exactement ce que j'attendais de cette situation. Oui, je le voulais dans ma bouche, sans résistance, sans caresses dévoreuses de temps. Jørgen ! Jørgen ! Jørgen ! criai-je dans ma tête.
Je fis sauter les quatre boutons de son jean — il avait eu le bon goût de ne pas enfiler de ceinture —, plongeai aussitôt la main à l'intérieur de son slip et libérait sans attendre son sexe dur de sa cage de tissu.
Ma langue libéra la sienne, et je glissai le long de son torse, rapidement, la main masturbant déjà comme par réflexe l'objet de mon désir. Il gardait les mains appuyées derrière lui contre les pierres, et cela me rendait folle de puissance. Quand je fus à genoux, je le mis enfin dans ma bouche, profondément. Jørgen ! Jørgen ! Jørgen ! C'était tellement bon d'avoir ce Jørgen dans ma bouche ! Les veines de son pénis étaient gonflées, je les sentais vibrer sous ma langue. Et je m'accrochai, d'une main sûre, à ce sexe brandi, et je le fis coulisser trop vite, ce gland humide, que ma langue, que mes joues, que mes lèvres, découvraient avec une gourmandise insatiable.
Il commençait à gémir. Je voyais juste là ses mains écartées contre la pierre, qui n'en pouvaient peut-être plus d'attendre, qui bougeaient maintenant, qui se sentaient prêtes à décoller certainement, à se plonger avec fébrilité dans ma chevelure folle, à la tirer — comme un homme — pour imprimer à mon visage son rythme souverain ; mais je les sentais lutter, lutter contre cette envie, la retarder, la repousser, pour moi, pour me laisser une minute encore maitresse indétrônable de cette incartade. Et cela m'excitait au plus haut point.
Plus il me laissait maitresse, et plus grandissait en moi l'envie de m'offrir à lui sans aucune retenue. Je mouillai déjà tellement !
La tiède moiteur s’échappant de mon sexe en une source érotique envahissait mon esprit, dynamisait mon caprice de le voir et le sentir jouir entre mes lèvres. Imperceptiblement j’accélérai le rythme de ma gourmandise imprimant sur sa queue de longs va et vient entre mes lèvres humides d’un mélange savant de salive et d’un miellat impudique, véritable aphrodisiaque de mes envies de l’instant.
Mon regard planté dans le sien, je recherchai le moment où la jouissance de Jørgen enroberait d’une douceur décadente la clarté de ses iris glacés. Maîtresse de son plaisir et sensuelle philanthrope, j’emprisonnai sa raideur au fin fond de ma gorge pour en extraire le précieux nectar séminal. Je n’avais plus d’yeux que pour sa bouche, cette arme fatale avec laquelle il m’avait harponnée. Entrouverte, grimaçante, laissant échapper des gémissements soutenus, d’une façon déconcertante, elle exprimait la jouissance de Jørgen à l’instant très précis où je récoltais au fond de ma gorge le premier jet de son plaisir.
Incapable de contrôle, je le libérai du fourreau moite où je l’avais piégé pour exprimer la béatitude de l’orgasme qu’en moi il avait propagé en m’offrant sa semence. J’en accueillais le jaillissement suivant sur mon torse largement dénudé dans l’urgence. Dans la complicité d’un orgasme troublant et violent, nos plaintes jouissives sans retenu s’emmêlaient au même rythme que nos souffles haletants, avant de s’affaiblir puis de disparaître.
Ne subsistaient plus de notre folle attirance que son sexe débandé, ma poitrine maculé d’un liquide blanchâtre, son sourire béat et la lubricité de mon impudique regard malmené par l’illicite de la situation.
Je me relevai lentement, cherchai dans le fond de mon sac de quoi effacer les traces de nos débordements. Puis en silence, je m’appliquai à essuyer le fruit de sa jouissance largement étalé sur mes seins sous son regard encore empreint d’un panachage incertain de surprise et d’émerveillement.
Je songeai soudain qu’il ne connaissait même pas mon prénom, et je le balbutiai à peine, honteuse de mon manque de courtoisie. « Je m’appelle Sylvana », tout en lui tendant bêtement la main et en ponctuant ma présentation d’un « enchanté Jørgen ».
Mon comportement le fit éclater de rire, sa bouche, qui une minute auparavant se tordait de plaisir donnait maintenant la réplique à ma niaiserie passagère. J’étais prête à m’enfuir comme une voleuse, honteuse de mes agissements, mais il arrêtait net ma dérobade en m’attirant à lui, prolongeant son sourire d’un baiser si vorace qu’il réduisait à néant ma fugace confusion.
Lorsqu’il relâchait la complicité de nos langues mélangées, il me murmurait à l’oreille « ce fut un délice ». Puis il poursuivait.
– À vrai dire, je suis photographe de mode, j’aime l’art de la photographie, et lorsque je t’ai vue dans ce musée, je t’ai imaginée sur papier glacé dans des poses lascives. Je voulais juste te proposer de poser pour moi.
– Je suis désolée !
– Désolée ? Pourquoi désolée ? Cela ne te tente pas ?
– Si, bien sûr, mais…
– Mon atelier est tout près d’ici !
Que devait-il penser de moi, à présent ? J'étais confuse.
– Ne sois pas confuse, j’adore les imprévus, et tu es un délicieux imprévu !
– Jørgen !
– Oui ! Décidément j’adore la manière dont tu prononces mon prénom…
– Jørgen, ne crois pas que…
– Que tu es une délicieuse petite garce ?
Et il éclata de rire en me prenant par la taille, entrouvrit la lourde porte cochère, m’invitant à rejoindre les bruits de la ville.
Son atelier n'était pas un loft immense, coiffé de baies vitrées, rutilant et puant le fric, non. C'était une petite chose mansardée, riche d'un fouillis inqualifiable, dont la chaleur visuelle devait certainement beaucoup à ces couvertures épaisses et ces tapis aux poils longs qui se dispersaient sans honte sur toutes les surfaces de l'endroit.
À peine un petit espace, au centre de la pièce principale, laissait entrevoir la profession du locataire : des projecteurs, un réflecteur en forme de parapluie et un pied sur lequel veillait un appareil photo numérique. Devant celui-ci, quelques cubes recouverts d'une peau épaisse qui semblait se souvenir encore de la forme du dernier mannequin.
Immédiatement après avoir franchi le seuil de l'appartement, Sylvana se sentit envahie d'une douce volupté. La chaleur sans doute. Et puis toutes ces peaux, tous ces poils. Sa veste avait disparu de ses épaules, comme par magie.
– Si vous voulez vous rafraichir, la salle de bain se trouve là.
Délicate intention. Et qui se présentait bien : un peu de sperme resté sur ma poitrine avait séché et tirait assez douloureusement sur la peau fine de mes seins.
– Votre français est incroyable !
– Merci, répondit-il avec modestie.
Dans la salle de bain, je me passai avec délectation un gant de toilette chaud et humide sur les tétons, pointés fièrement vers le miroir où je m'admirai. Narcissique, moi ?… Je devais certainement l'être un peu. J'aurais eu en tout cas l'envie de me faire jouir, là, devant ce haut miroir qui mangeait mon image des pieds à la tête, en me regardant, tout autant maitresse qu'esclave. Mon œil maitresse commandant mes mains esclaves. Me regardant avec lucidité m'abandonner à un plaisir indicible.
Mais déjà Jørgen me demandait si rien ne me manquait. Bien sûr que quelque chose me manquait, et pour lui faire savoir, je restai silencieuse…
Je souris à mon reflet en l'entendant insister, et restai aussi muette qu'espiègle, la chemise de soie largement ouverte. Je fis même jouer avec malice les boutons de ma jupe et la laissai glisser sur mes chevilles, en feignant l'étonnement candide. Ma petite culotte la suivit rapidement.
Jørgen finit par toquer à la porte de la salle de bain.
– Tout va bien ?
Sans réponse, il se permit de pousser la porte, inquiet.
– Vous êtes sûr que tout va bien ?
J'étais presque nue devant le miroir, plantée sur mes talons, les jambes légèrement écartées, les mains tenant mes seins relevés sous la serviette de toilette, dans une position un peu sauvage mais étudiée que mon instinct jugeait propice à déclencher le désir de l'homme le plus réticent.
Nos regards se croisèrent dans le reflet, puis je vis le sien descendre le long de mon dos, jusqu'à mes fesses, dénudées, à peine entrouverte, suffisamment en tout cas pour qu'il puisse se délecter de la vision de ma vulve déjà gonflée. Ce regard m'électrisait.
– Ce serait un plaisir immense pour moi de vous prendre, lâcha-t-il.
Qu'attendait-il donc alors ?
– Je veux dire… de vous prendre en photo bien sûr.
Bien sûr… Mais je n'étais pas disposée, dans l'état où je me trouvais là, à faire autre chose que ce que mes envies me commandaient à grands cris au fond du ventre. Pas prête non plus à lui laisser la moindre chance de s'en sortir…
Je prenais sa réplique polie comme le revers d’une claque appliquée avec précision, une gifle cinglante destinée à faire mal, tentant de ne laisser rien paraître de mes désillusions.
« Bien sûr », je lançais, avec pourtant un je ne sais quoi de désabusé dans le regard.
Je repoussais la porte d’un léger coup de pied, mettant fin à la torture que son regard provoquait en moi.
A celui qu’il m’avait prêté lors de notre rencontre, il avait substitué un regard réprobateur, réducteur, comme si le seul fait que je me sois laissé aller à mes pulsions ait quelque peu déranger ses premières intentions. Je n’aimais pas ce sentiment qui se dégageait de son aussi nouveau que surprenant comportement. Mais pourtant bien déterminée à le séduire à ma façon, je recherchais au fond de mon sac, ma trousse à maquillage.
Avec une attention particulière, je noircissais mes yeux à outrance, tout autant que j’empourprai mes lèvres d’un rouge carmin. Le reflet vert de mes yeux n’en était que plus clair, mes pommettes plus saillantes et mes lèvres plus ourlées. Je mirai avec circonspection mon image dans le miroir, ce n’était pas moi, mais le reflet d’une femme en quête d’une banale histoire de cul, une femme gourmande de charnel dont l’outrageant maquillage tournait en dérision une rencontre fortuite empreint de romanesque. Je ne pris pas le soin de me rhabiller entièrement, rajustai mes bas aux portes jarretelles et mon soutien gorge pigeonnant, quitte à ce qu’il me prenne pour une vulgaire salope, autant lui en offrir les condiments.
Puis j’entrouvrais la porte doucement entre deux couinements, entamais une démarche lascive, cambrure accentuée, la croupe incendiaire simulant la parade d’une femme ouverte à toute proposition. Dissimulant ma gêne, pour tant de provocation, j’attendais de lui qu’il me juge ou pire qu’il soit surpris. Mais est-ce le flegme scandinave, il ne fit rien paraitre de son étonnement, me réclamant au contraire que je m’approche au plus près de lui.
« Viens, approche, me lançait-il avec autorité, son appareil à main, avant de le poser.
Du revers de sa main, il m’ôtait tout excès de mon rouge trop rouge, le faisant déborder largement délavé sur le feu de mes joues, puis poursuivait à sa manière mon relookage osé en estompant le noir du bleu de mes paupières jusqu’à le faire courir jusqu’au bord de mes tempes. Son audacieuse autorité avait semé en moi un trouble assourdissant, répandant sur mes joues déjà multicolores des larmes assassines estampillées « honte à moi »
Que dire de mon sexe encore lubrifié, de ma vulve gonflée, lui renvoyant les codes de ma lubricité ? Entre confusion et humiliation, mon esprit oscillait, jusqu’à que mon regard daigne enfin croiser le sien .Tout à coup ma conscience bafouée par tant de vexation s’était régénérée au contact de sa voix
« Tu es sublime ainsi, j’adore, avait-il murmuré, glissant ses doigts entre mes lèvres humides les portant ensuite à sa bouche, en savourant le goût.
S’armant de son outil de travail, il m’accablait de shoots désordonnés, disséminant les prises de mon visage salement grimé jusqu’entre mes cuisses où mon sexe affolé brillait de mille feux.
« Bouge, ne t’occupe pas de moi, j’ai envie de toi, je vais te baiser, tu le sais, tu es si belle, imagine toi dans un vieux bordel sordide, tu es la plus belle, tu m’appartiens, tu n’es qu’à moi…. »
Mon sexe suintait quand la porte claqua. Devant moi une blonde, la blonde qu’il avait invectivée un peu plus tôt dans le musée, avec au bout des mains des sacs de « bouffe » américaine.
J’aurais du me méfier. à peine venait’ il de me planter le décor pour une scène illicitement torride, en me faisant miroiter le rôle principal, qu’une fausse blonde méchamment délavée me volait la chandelle. Je perdais instantanément de ma superbe, de celle qu’une femme arbore fièrement lorsqu’elle se sent désirée.
« Coup de théâtre au studio » aurait-on pu intituler la scène, quand à mon intimité, elle s’était aussitôt avérée aussi aride qu’un erg. Cauchemar ou mauvais scénario, le fait est que je voilais instantanément mon impudique nudité.
Etais-je assez stupide pour m’être ainsi laissée berner par un accent étranger qui avait sur moi le même effet qu’un filtre aux pouvoirs érotiquement envoutants.
La fausse blonde et Jørgen, se regardaient alors étrangement devant mon comportement, avant d’éclater de rire. A l’humiliation de me faire surprendre en pleine béatitude érotique devant un inconnu, par une non moins inconnue, ils rajoutaient celle d’une complicité moqueuse .C’en était trop …je faisais fi de ma nudité, tournais les talons et me dirigeais furieuse vers la pièce où gisaient encore les vestiges de mon habillement.
« Dommage, avait relevé l’insipide blonde
-Absolument, avait rétorqué Jørgen
-C’est bon, baisez-moi , et qu’on en parle plus , ça m’apprendra à suivre le premier venu
-Le premier venu te présente son assistante Claudia
-oh ! Sorry, enfin désolée, enfin je ne sais quoi dire …
-Ne dis rien, je note juste qu’un trio érotique ne t’impressionne pas »
Tétanisée, piégée par un comportement stupide, je ne savais plus comment réagir et lorsque Claudia me rejoignait une robe de latex à la main, j’en perdais totalement mon assurance et quitte à passer pour une catin, j’obéissais à Jørgen.
« Enfile çà ! »
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