La même grisaille accueillait le réveil de Lou au petit matin. Derrière les tentures mal fermées, elle apercevait un rideau de pluie, cette courtine humide l’avait glacée jusqu’aux os, elle s’était lovée contre la chaleur du corps de son amant. Elle aurait aimé que cet instant dure plus longtemps, mais l’alarme du portable de Benoit avait tinté, leur rappelant qu’il était l’heure de la retraite. Il était à peine sept heures du matin…
Elle avait tenté en vain de retenir Benoit sous la tiédeur des draps. Malgré l’ébauche, entre ses fesses cambrées, d’une érection difficilement dissimulable et des mains de Benoit enrobant ses seins, il n’avait pas traduit un désir irrésistible de lui faire l’amour. Déçue, mais pourtant tolérante elle s’était défaite de l’étreinte matinale, et avait filé vers la fenêtre et en avait écarté les tentures.
Quel printemps pourri, avait-elle murmuré, en songeant intérieurement que quelques heures plus tard elle pourrait à nouveau jouir de la douceur climatique de sa région résidentielle, mais dans la plus grande solitude.
Deux heures plus tard, après avoir subi les embouteillages habituels de la région parisienne, Benoit la déposait à la va vite sur le trottoir du kiss and Fly, lui donnait un baiser du bout des lèvres, lui murmurait à jeudi et démarrait sans plus se retourner.
A jeudi, mais pour qui se prenait-il, il était hors de question qu’elle devienne la femme de l’ombre, celle qu’on baise entre deux rendez-vous, deux avions, celle qui patiente aux terrasses de café, celle qui prend la tasse pour un rendez-vous manqué. Elle ne voulait pas être une simple histoire de cul, elle ne voulait pas …et pourtant les jeudis allaient s’enchainer dans des hôtels de banlieue, des relais routiers.
Jamais elle ne partageait avec lui des moments culturels, ni des files d’attente pour prendre un taxi, un avion, elle demeurait la femme d’à côté, celle qu’on aime retrouver sans jamais rien partager d’autre que des parties de jambes en l’air, celle avec qui on assume les fantasmes interdits avec l’officielle.
Elle était la courtisane des temps moderne, ce statut l’avait pourtant peu à peu conquise, voire dépassée.
Elle était programmée, ses billets d’avion planifiés, ses tenues vestimentaires de plus en plus audacieuses orchestrées de main de maître et expédiées pour satisfaire des scenarii dont la lubricité frisait parfois l’immoralité et parfois même la grossièreté.
A chacune de leur rencontre illicite, ils gravissaient un échelon supplémentaire sur l’échelle de la luxure, s’y vautraient en orgasmes récidivistes jusqu’à l’épuisement.
Jamais de heurts, jamais de blessure, une complicité charnelle sans tabous les avait mené tambour battant pendant près de deux ans, jusqu’a ce jeudi fatal dans une chambre luxueuse d’un grand hôtel parisien.
Ce revirement était apparu à Lou comme la fin d’une cavale, ou d’une course poursuite contre le temps, la monotonie d’une relation orchestrée par les habitudes et l’emprisonnement dans un train -train peu enrichissant. Quitte à tout perdre, autant le perdre en beauté dans une chambre argumentée d’une atmosphère peu ordinaire.
Elle connaissait la chambre chinoise parfaitement, non pour y avoir résidé, mais parce qu’à l’occasion d’une de ses nouvelles, elle s’était inspiré du décor pour écrire, décrire dans les moindres détails une scène torride de deux amants. Ses nuits sauvages avec Benoit avaient, au fur et à mesure de leur relation, donné une nouvelle note à ses écrits, une note plus épicée, plus trash. Elle qui vénérait l’érotisme dans tout ce qu’il a de plus subjectif, avait dérivé inconsciemment vers des descriptions plus détaillées des scènes érotiques qu’elle dépeignait.
Lors de sa première visite de la chambre orientale, gentiment autorisée par la propriétaire flattée de participer à l’écriture d’un roman, elle s’était glissée dans la peau de son héroïne. C’était bien avant de rencontrer Benoit, mais au fur et à mesure de leur relation, elle s’était promis qu’un jour, elle y conduirait son amant, sans songer un instant, que ce lieu particulier serait peut être le denier décor de leur ultime et violente lutte érotique.
Dans une ambiance tamisée, la chambre rouge, rouge de Chine les accueille, érotique à souhait, lit exotique à baldaquin, tentures chinoises, tapis douillet aux couleurs chamarrées, un véritable appel à la luxure dans un ancien bordel, un véritable retour à une vie antérieure, au temps des maisons du plaisir, au temps où la luxure même vénale rimait avec sophistication.
Maitresse des lieux pour une nuit, elle organise une visite pour cet amant à qui elle offre en même temps un effeuillage et son mystère.
Si diabolique dans sa prestance, dans sa démarche et son maintien, elle joue pourtant à la catin, s’inquiète des envies de Benoit tout en tarifiant comme une putain ses prestations les plus audacieuses.
Benoit ne s’attendait pas à cela, passé l’effet de surprise, il se prête au jeu, à une partie de jambes en l’air y préfère le spectacle d’un effeuillage consciencieux.
Dans ce qui ressemble à une invective, elle lui ordonne impoliment de s’installer bien sagement pour assister à son déshabillage à la hauteur du tarif des prestations de son choix, puis disparait un court instant en silence.
Sa gourgandine réapparait, Benoit s’en réjouit, encore sous l’effet de surprise de sa soudaine fuite, assiste comme un jeune puceau à ce spectacle improvisé de cette fille de joie de fortune.
Quelque chose a changé…ses lèvres plus rouges, ses cheveux déliés et cette noirceur sur ses paupières et sous sa ligne de cils inférieure. Harmonie parfaite de la tenue et du maquillage en accord absolu avec la couleur feu environnante.
Sous la toile de son pantalon, c’est déjà l’effervescence, son sexe tendu au diapason de la diablesse qui le tourmente. Point de musique, la volupté d’un corps de femme qui se balance, les mains solidement accrochées aux barres du lit, véritable décor de la scène érotique fascinante. Mouvante, émouvante, son regard de noir charbonné planté dans l’entrejambe de Benoit, elle lui ordonne sans murmurer un seul mot, de libérer de son carcan, cette raideur virile victime et otage de la situation.
Soumis à la lascivité et à la volupté de son hôtesse, il s’exécute, brandit comme un trophée son sexe, l’empoigne et y laisse courir lascivement mais méthodiquement ses doigts refermés en fourreau.
L’instant est intense. L’harmonie de leurs caresses respectives qu’ils temporisent, conduisant leur plaisir dans une ascension lente et progressive laisse profiler l’imminence d’un orgasme sans autre effleurement que leurs pensées réciproques de l’un pour l’autre, quand trois coups timidement frappés à la porte les arrache inopinément au délice de leur complicité.
Dans le regard de Benoit, affolement, dans le reflet des yeux de Lou une étrange lueur, mais de surprise point, pas plus que d’amertume.
« As-tu commandé quelque chose, interroge Benoit
-Oui effectivement »
Benoit, dans l’urgence, sa virilité soudain défaillante à cause de l’intrusion, remballe son engin, alors que Lou, calmement, presque trop, murmure « Entrez » sans se soucier de sa quasi- nudité.
Dans l’embrasure de la porte, une femme aux formes très séduisantes, le visage à moitié dissimulé derrière un loup de dentelle noire, fait son entrée. Sans même se soucier un seul instant de la présence de Benoit, elle se dirige, le pas feutré malgré les hauts talons aiguilles sur les quels elle est juché, vers Lou dont le visage s’illumine d’une lueur que Benoit n’est pas prête d’oublier.
« Bonsoir, balbutie-t-il. Lou ? »
Lou ne répons pas, ne peut répondre, la belle plante a pris possession de sa bouche.
Le soutien gorge de Lou s’envole, suivi de près par les dentelles de sa petite culotte sous le regard médusé mais comblé de Benoit.
Voilà que Lou est attachée, un poignet, puis l’autre aux barres du lit, face à benoit, son sexe ouvert en corolle, ses jambes savamment dirigées par les mains entremetteuses de l’inconnue.
Puis ses doigts claquent sur le cul de Lou, la fait frémir, la fait cambrer à se rompre les reins. Lorsque Lou relâche sa posture inconfortable, sur la rondeur de son fondement, les fessées se font plus cinglantes et la douleur plus lancinante. Lou ne dit rien, elle consent, pire il semble à Benoit qu’elle abandonne sa posture pour à nouveau se faire corriger. Son sexe brille, il est sondé par l’entremise des doigts curieux et féminins qui viennent s’y glisser, en estimer la gourmandise et la teneur en cyprine.
Benoit assiste à une préparation en règle, le scenario est imparable, il bande comme un taureau.
Mais qu’attends-tu lui crie la nouvelle maitresse de cérémonie, elle est fin prête à être mangée, rejoins-nous »
Comment refuser une telle invitation, si autoritaire soit-elle.
A l’approche de Benoit, la femme au loup, se défait du manteau cintré qui la gêne dévoilant sa nudité sans aucune pudeur, puis se faufile derrière Lou, s’empare de ses seins, couvre son cou de baisers morsure auxquels Lou ne résiste pas bien longtemps.
Elle imprime à nouveau l’ordre à Benoit de dévorer sa proie facile. A peine a-t-il posé ses lèvres sur le sexe béant de Lou, qu’elle dégouline de son nectar, criant suppliant de continuer.
Sur le bouton de son amante il suce des doigts si agiles qu’ils font du sexe de Lou, une véritable source résurgente, jusqu’à ce que sa diablesse de maitresse, se tendre, se cambre, perde le contrôle de son corps, une bouche goulue dans ses secrets, un preste doigt sur son bouton, un plus coquin bien enfermée au sein de sa brune étoile. Bras et jambes tendues, crucifié sur un lit asiatique de nacre incrusté, Lou, dans l’impossibilité de repousser ses prédateurs se laisse emporter par un orgasme si puissant, qu’elle en perd connaissance un instant.
C’est allongée sur le lit, frissonnante, qu’elle recouvre ses esprits, un homme nu, une femme nu de chaque côté qui l’entreprennent sans vergogne. Elles s’abandonnent sous les caresses, laissent courir sous ses paupières de folles images plus perverses, se sent sondée, pénétrée, perforée par tous ses orifices, ressent les bruits qui l’entourent, comme des morsures, des blessures, chuintement, baiser obscène, aspiration, la scène ne lui appartient plus, elle est la proie, elle est l’agneau et plus la louve, elle s’y complait, se vautre dans le festin de ses complices.
Son plaisir la torture tant il lui est inavouable de ressentir cette sensation étrange de savourer tout son plaisir dans sa position de captive.
Prise à son propre piège de la surprise qu’elle voulait offrir à Benoit en guise de réponse, dans la continuité, elle jouit de l’appétence de ses deux amants qui ne l’épargnent guère des caresses les plus torrides et plus perverses.
L’amante inconnue la presse d’abdiquer, l’amant conquis l’abjure de continuer jusqu’à l’ivresse, jusqu’au mélange sans conditions des trois corps pervertis de corruption charnelle.
Comme tous les jeudis, elle met soudain un terme à la perversion de la situation, échappe à l’étreinte de ses délicieux bourreaux , les abandonne laissant libre cours à leur enlacement érotique.
Urgence de l’instant, elle se rhabille dans le silence de la salle de bain verte et noire, griffonne un mot sur un mouchoir en papier, avant de le rouler, le jeter et d’écrire rouge sang sur le miroir, à l’aide de son bâton de gloss une seule phrase , quelques mots. Elle entrouvre la porte, savoure un instant les gémissements en complainte de son amie et complice qui se paye de ses services en la personne de Benoit, jette un dernier regard et claque la porte.
De son passage dans la chambre chinoise ne reste qu’une phrase
« A jeudi, je t’aime »
Elle y garde sa liberté, tout en renonçant à s’infliger une rupture qu’elle n’est pas prête à assumer. En fin le suppose-t-elle !
FIN
© 2009 Mysterieuse
Les commentaires récents