Mady s’installe sur le canapé, repliant ses jambes sous elle, et tapote la place à côté d’elle. Arthur la rejoint, posant son bras sur le dossier, tourné vers elle, attentif. La lumière du matin danse sur son visage, effleure sa peau, souligne l’éclat doux-amer de ses souvenirs.
— Essaouira… C’est une ville que le vent ne quitte jamais, commence-t-elle. Là-bas, il porte l’odeur du sel, du bois de thuya et des épices. J’y suis arrivée un peu par hasard, fuyant quelque chose sans trop savoir quoi. J’avais loué une chambre en haut d’une maison bleue, avec une terrasse qui donnait sur l’océan.
Arthur écoute sans l’interrompre. Il la voit déjà dans ce décor, robe légère soulevée par les bourrasques, cigarette oubliée sur le rebord d’une table, un carnet griffonné posé à côté d’une tasse de thé à la menthe.
— Il s’appelait Jack. Un Anglais un peu bohème, un peu perdu. Il tenait une boutique de vinyles dans une ruelle cachée de la médina. On entendait la musique flotter bien avant d’apercevoir l’enseigne. J’y suis entrée un jour, attirée par une chanson de Leonard Cohen.
Elle s’arrête, ferme les yeux une seconde, comme si la mélodie résonnait encore en elle.
— Il était assis derrière le comptoir, un livre à la main, l’air de n’appartenir à aucun lieu, à aucun temps. On a parlé musique, littérature. J’y suis retournée le lendemain. Et les jours suivants.
Elle joue distraitement avec le tissu de sa robe, le froisse du bout des doigts.
— Il m’a appris à écouter autrement. Pas juste entendre, mais vraiment écouter. Les silences entre les notes, les souffles dans les voix, les infimes variations qui transforment une chanson en confession.
Arthur sent un voile de mélancolie glisser sur elle.
— Et puis ? demande-t-il doucement.
Elle soupire, laisse son regard errer vers la fenêtre.
— Et puis, je suis repartie.
Un silence.
— Pourquoi ?
Elle hésite, puis se tourne vers lui.
— Parce que certains amours sont faits pour rester suspendus. Parce que parfois, ce qu’on vit dans un ailleurs appartient à cet ailleurs. Et qu’il ne faut pas essayer de l’emporter avec soi.
Arthur baisse les yeux. Il comprend cette idée. Il l’a ressentie, peut-être différemment, mais il sait ce que c’est que de vouloir figer un instant et de réaliser qu’il ne peut exister que dans un cadre précis, sous une lumière donnée.
Mady sourit, un peu tristement.
— Je crois que je n’ai jamais autant aimé la musique qu’à cette époque-là.
Elle relève les yeux vers lui, cherchant quelque chose dans son regard.
— Est-ce que tu comprends ?
Arthur acquiesce lentement.
— Oui, Mady. Je comprends.
Et dans cette compréhension, quelque chose se tisse entre eux, fragile et profond à la fois. Un fil tendu entre deux âmes qui savent ce que c’est que de courir après l’insaisissable.
Leurs souffles se confondent avant même que leurs lèvres ne se rejoignent. Il y a une lenteur infinie dans ce baiser, une retenue qui vacille, vacille encore, puis cède sous le poids du désir. Arthur glisse une main dans la nuque de Mady, l’attire contre lui, sent sous ses doigts la chaleur diffuse de sa peau. La lumière matinale filtre à travers les rideaux légers, caressant leurs visages, dessinant sur eux des éclats dorés et mouvants. Le jour naissant s’infiltre, complice discret de leur abandon.
Les vêtements tombent sans hâte, effleurés, défaits, oubliés. Le lin de sa robe glisse sur sa peau comme une seconde caresse, révélant la courbe tendre de son épaule, la ligne frémissante de son dos. Arthur s’attarde, explore du bout des doigts, grave dans sa mémoire chaque frisson, chaque soupir qui s’échappe d’elle. Le temps se dilate. La maison respire avec eux, recueille leur fièvre, leur élan. Dans l’espace réduit du canapé, leurs corps se cherchent, s’épousent, se reconnaissent comme s’ils avaient toujours su. Il y a dans cette étreinte une urgence tranquille, un feu maîtrisé, mais brûlant. Mady ferme les yeux, s’abandonne à cette sensation vertigineuse d’être désirée, d’être là, dans l’instant pur, où ni hier ni demain n’existent. Juste la chaleur de cette matinée, juste les lèvres d’Arthur qui redessinent son corps, juste cette vague lente et profonde qui les emporte loin du monde. L’air est chargé de sel, de chaleur, et du parfum de Mady, ce mélange d’ambre et de miel qui enivre Arthur. Ils ne se cachent pas, ils n’ont plus l’âge des hésitations, des jeux d’orgueil. Ici, tout est brut, sincère. Elle se cambre sous les mains d’Arthur, qui explore chaque parcelle de son corps comme une terre qu’il redécouvre, affamé d’elle, avide de cette fièvre qui les consume. Elle gémit, chavire, s’accroche à ses épaules comme à une promesse. Ses doigts glissent sur son dos, s’égarent dans sa nuque, pressent son bassin contre le sien dans une supplique muette. Leurs souffles s’emmêlent, brûlants. Il la mord, elle se cambre davantage. Ils s’aiment avec la ferveur de ceux qui ne craignent plus de se perdre, avec l’impudeur de ceux qui connaissent la valeur d’un corps, même marqué par le temps. Chaque baiser est une empreinte, chaque caresse un aveu. Lorsqu' ils s’abandonnent enfin, c’est dans un vertige incandescent, une onde qui les traverse, les brise et les secoue dans le même mouvement. Mady, haletante, garde les yeux clos un instant de plus, savourant cette suspension, ce silence habité. Arthur effleure sa joue du bout des lèvres, puis glisse une main dans ses cheveux humides.
— Tu es belle, murmure-t-il contre sa peau.
Elle ouvre les yeux, le regarde sans chercher à fuir. Son regard vacille, flou, mais elle sait. Ce moment, ce corps contre le sien, cette chaleur qui persiste sur sa peau… c’est la seule vérité qui compte.
Arthur caresse lentement son dos, effleure la courbe de ses hanches avec cette même précision, cette même délicatesse qui, autrefois, guidait ses gestes dans l’intimité froide des blocs opératoires. Ces mains qui ont refermé tant de plaies, qui ont lutté contre la mort, viennent, sans le savoir, d’arracher Mady au néant où elle sombrait. Elle respire profondément, encore étourdie, le cœur battant sous sa peau tiède. Il l’a prise comme on saisit une dernière chance, avec cette urgence douce et brûlante qui ne demande rien, qui donne tout. Et dans cet abandon incandescent, elle a senti quelque chose se rallumer en elle. Elle glisse une main sur le torse d’Arthur, perçoit sous ses doigts les traces du temps, les lignes discrètes d’un corps qui a vécu, lui aussi. Il n’y a rien à cacher, rien à masquer. Juste la vérité brute d’être là, ensemble, encore palpitants.
— Tu es silencieuse, murmure-t-il en l’observant.
Elle sourit, esquisse un geste pour repousser une mèche de cheveux collée à son front.
— Parce que je reviens de loin, souffle-t-elle.
Arthur fronce légèrement les sourcils, mais elle ne lui laisse pas le temps d’interroger. Elle se redresse à demi, pose une main sur sa joue, l’oblige à la regarder.
— Tu ne le savais pas, mais tu viens de me sauver.
Il ne répond rien. Il se contente de plonger son regard dans le sien, de capter ce frisson de vie qui renaît en elle. Il ne sait pas encore tout de son combat, de cette ombre qui menace son regard et son avenir. Mais en cet instant, il comprend une chose essentielle, elle est là. Entière. Brûlante de désir et de vie.
Et il la désire encore.
© 2025 Mystérieuse
A suivre...
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