Après avoir terminé leur dernier verre de vin, Mady et Arthur se lèvent, un peu hésitants, mais clairement attirés l’un par l’autre. Le boudoir littéraire a laissé place à un silence un peu plus lourd, un silence qui parle d’anticipation et de curiosité partagée. Ils échangent un sourire, sans vraiment se dire grand-chose, mais tous deux savent que la soirée ne s’arrêtera pas là.
“Il y a un petit restaurant à quelques rues d’ici, si vous êtes partante. Plutôt discret, mais avec une cuisine que j’adore,” propose Arthur, en attrapant son manteau.
Mady hoche la tête, un éclat de complicité dans les yeux.
“Vous me guidez, je vous suis,” répond-elle.
Ils quittent le boudoir et déambulent dans les rues tranquilles de la ville, sous la lumière tamisée des réverbères. La soirée est douce, les rues presque désertes. Il semble que le monde autour d’eux se soit figé dans un calme propice à la découverte. Ils ne parlent pas beaucoup, mais la proximité, le simple fait de marcher ensemble, est déjà un échange.
Arrivés au restaurant, un petit bistrot discret à l’aspect simple mais élégant, Arthur ouvre la porte, un geste gentleman qui la fait sourire dans ce monde aseptisé de relations normales ente homme et femme, me too oblige . L’intérieur est intime, avec des tables en bois sombre éclairées de bougies qui rajoutent une chaleur à l’atmosphère. Mady songe un instant, que, bientôt, elle ne discernera plus l’ambivalence des jeux de lumière Une serveuse les conduit à une table dans un coin tranquille, isolée du reste des clients, sur la demande d’Arthur.
Ils s’installent, et le moment semble s’étirer, hors du temps. Arthur regarde Mady, une lueur d’admiration dans les yeux. la conversation reprend doucement. Ils parlent des petites choses qui, normalement, ne s’échangent pas dans une première rencontre : leurs passions, leurs regrets, ce qui les fait sourire ou pleurer. Mady se surprend à parler de son enfance, des livres qu’elle aimait lire à 10 ans, de son goût pour les voyages solitaires. Arthur, de son côté, lui raconte des anecdotes de ses voyages, des projets architecturaux auxquels il a participé, et de sa façon bien à lui de vivre le monde à travers les bâtiments et les paysages qu’il construit dans son esprit.
Le temps passe sans qu’ils y pensent, absorbés par la conversation, l’échange d’idées et de souvenirs. Le serveur apporte un plat qu’ils partagent, une spécialité de poisson accompagné de légumes frais, et leur discussion devient plus légère, presque complice. Ils rient, se moquent gentiment de leurs propres travers, et chaque sourire, chaque éclat de rire renforce ce lien subtil qu’ils tissent à travers leurs mots.
“Vous savez,” dit Mady, une fourchette de poisson à la main, “vous êtes surprenant. On dirait que vous avez le don de me faire parler, de me faire dire des choses que je n’avais pas l’intention de dire. Cela rajoute à votre charme ”
Arthur sourit, un peu plus mystérieux.
“C’est peut-être parce que je ne vous juge pas. Je suis juste là, à vous écouter. Et parfois, ça suffit pour que les gens se révèlent. Mon charme ?
Elle le regarde, touchée, avant de répondre, un sourire malicieux aux lèvres.
“Alors, est-ce que vous êtes là pour tout savoir de moi, ou juste pour profiter de cette soirée ?”
Il hausse un sourcil, l’air faussement innocent.
“Un peu des deux, je dirais. Mais sans pression. L’essentiel est que cette soirée existe, ici et maintenant.”
Mady plonge son regard dans le sien, réalisant que cette soirée, cette rencontre, prend une ampleur inattendue. Un simple dîner, mais un moment qui semble être une parenthèse magique, où les deux sont à la fois présents et en dehors du temps. Elle lève son verre, un éclat de complicité dans les yeux.
“À l’instant présent,” dit-elle simplement.
Arthur sourit, trinquant avec elle.
“À l’instant présent, et à la suite de cette soirée.”
Le reste de la soirée se déroule sans précipitation, entre rires, confidences et une nouvelle chaleur qui les rapproche encore.
Alors que le repas se poursuit, Mady se sent de plus en plus détendue, le vin ayant doucement délié ses lèvres. Elle n’a pas l’habitude de se confier aussi facilement, mais quelque chose dans la douceur et la patience d’Arthur la pousse à s’ouvrir. Elle le regarde, un regard plus franc, comme si elle décidait de ne plus retenir les pensées et émotions qui bouillonnent en elle depuis trop longtemps.
“Vous savez,” commence-t-elle, une touche de vulnérabilité dans la voix, “je ne suis pas du genre à partager des détails personnels facilement. Mais avec vous… c’est comme si les mots sortaient sans effort.”
Arthur l’écoute attentivement, sans interrompre, simplement présent. Son regard est tranquille, respectueux, comme s’il savait que l’intimité se construit lentement, pas à pas.
“C’est peut-être parce que vous ne me jugez pas,” continue Mady, ses yeux fuyant un instant les siens. “Je me suis souvent sentie… trop différente, trop difficile à comprendre. J’ai tendance à me cacher derrière mes livres, mes projets… des choses concrètes qui ne demandent pas trop d’explications.”
Arthur la fixe, intrigué mais sans insistance.
“Et derrière vos livres, vous vous sentez qui ?” demande-t-il doucement.
Elle prend une longue inspiration, comme si elle se préparait à un saut dans l’inconnu. Elle prend un autre verre de vin, le goût sucré de la boisson l’aidant à franchir le pas.
“Parfois, je me sens… seule. Même entourée. J’ai l’impression de chercher quelque chose, sans savoir vraiment quoi. Une forme de paix, peut-être. Ou juste un endroit où je peux être moi-même, sans avoir à me cacher.”
Ses mots flottent dans l’air, et Mady se surprend elle-même de les avoir prononcés à voix haute. Mais il y a une libération dans cette confession, une brèche dans le mur qu’elle a dressé autour de ses émotions
Arthur, toujours silencieux, la regarde avec une intensité nouvelle. Il semble comprendre ce qu’elle essaie de dire sans avoir besoin de plus de détails. C’est comme s’il voyait au-delà des mots, comme s’il percevait la fragilité qui se cache sous cette façade qu’elle a construite.
“Mady, tu n’as pas à te cacher ici,” dit-il doucement, son ton rempli de bienveillance. “On a tous cette peur d’être jugés, de ne pas être à la hauteur des attentes des autres. Mais je crois que ce qui te rend vraiment spéciale, c’est que tu oses être toi-même, même si ce n’est pas toujours facile.”
Elle le regarde, émue par la douceur et la sincérité de ses mots. Elle n’a jamais entendu quelqu’un parler d’elle de cette manière.
“Je n’ai pas l’habitude qu’on me parle comme ça,” murmure-t-elle, une pointe de surprise dans la voix.
-Je suppose que c’est parce que je vois quelque chose en toi que tu ne vois pas forcément encore,” répond-il, son regard toujours fixé sur elle.
Leurs yeux se croisent, un silence lourd et lourd de significations s’installe entre eux. Mady se sent à la fois dénudée et en sécurité, comme si tout ce qu’elle avait gardé pour elle-même venait d’être compris sans jugement, simplement accepté.
Elle soupire et se penche un peu plus près de lui, une lueur d’audace dans le regard.
— “Et vous, Arthur ?” demande-t-elle. “Qu’est-ce qui vous pousse à me dévoiler tout cela ? À être aussi… présent ?”
Il lui adresse un sourire tranquille, comme si cette question n’était qu’une suite logique à tout ce qui venait d’être dit.
“Parce que je crois que nous avons tous des faces cachées, des parts de nous-mêmes qu’on ne montre jamais. Mais parfois, quand on rencontre quelqu’un qui est prêt à nous voir pour ce que nous sommes vraiment, c’est comme si tout devenait plus simple.”
Mady le regarde un moment, touchée, avant de se pencher encore un peu plus vers lui. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres.
“Peut-être que vous avez raison,” dit-elle doucement. “Peut-être que… ce soir, je suis prête à être plus que celle que j’ai laissé paraître jusqu’ici.”
Il répond par un sourire silencieux, acceptant sa vérité sans condition, un partenaire dans cette danse délicate qu’ils tissent ensemble. Et, alors que la soirée continue, Claire se sent de plus en plus légère, chaque mot, chaque geste les rapprochant un peu plus, dévoilant non seulement son corps, mais aussi son âme.
Alors qu’ils poursuivent leur conversation, le lien entre Mady et Arthur se renforce, mais une part d’elle demeure secrète, enfouie sous la surface. Elle savoure chaque moment de cette soirée, mais au fond, une vérité plus lourde la taraude. Elle le sent, chaque jour un peu plus, chaque geste un peu plus difficile, mais elle garde le silence sur la réalité de sa condition. La maladie dégénérative qui la touche progresse lentement, mais sûrement, la plongeant dans une obscurité qu’elle n’a pas encore su entièrement accepter.
Le vin a effleuré ses sens, la chaleur de l’endroit, la proximité d’Arthur, tout cela l’aide à oublier un instant cette ombre grandissante. Mais elle sait que ce moment est éphémère, et quelque part, cela lui fait mal. Elle n’ose pas tout dire, tout révéler. Elle s’est fait la promesse de vivre pleinement tant que la vie lui est encore donnée.
Arthur remarque un léger changement dans son comportement. Ce n’est pas un geste évident, mais un petit frémissement dans son regard, un instant d’hésitation quand elle sourit. Un voile de mélancolie semble se glisser furtivement dans ses yeux, bien qu’elle s’efforce de garder son énergie. Il a appris à lire les silences, et quelque chose dans son attitude lui indique que Mady porte un fardeau qu’elle ne partage pas.
“Claire, si jamais il y a quelque chose que vous voulez dire… Vous pouvez. Rien ne vous obligera à dire quoi que ce soit, mais je vous écoute, si vous en ressentez le besoin,” dit-il doucement, ses mots remplis de la même bienveillance qu’au début de leur rencontre.
Elle le regarde, prise de court par cette ouverture. Elle se sent une fois de plus démunie, tiraillée entre son désir de tout profiter et la réalité qui, à chaque instant, se rapproche un peu plus d’elle. Elle a toujours été forte, indépendante, mais cette faiblesse qu’elle porte en elle la ronge lentement.
“Je… Je vous remercie, mais…”
Elle s’interrompt, cherchant ses mots, essayant de se frayer un chemin à travers la confusion de ses pensées.
- “Je ne sais pas comment le dire, ni même si je dois le dire.”
Arthur l’observe attentivement, respectant son silence, mais son regard, toujours calme, l’encourage à poursuivre.
“Il y a des choses qu’on a du mal à partager, des parts de soi qu’on préfère garder dans l’ombre,” poursuit-il. “Mais parfois, les mots peuvent alléger le fardeau, même si ce n’est que pour un instant.”
Mady ferme les yeux un instant, le souffle un peu plus court. Puis, presque sans réfléchir, elle laisse échapper les mots, comme une confession murmurée dans l’air chaud du restaurant.
“J’ai récemment appris que j’étais atteinte d’une maladie dégénérative. Elle me plonge progressivement dans le noir, et je… je sais que cela ne va pas aller en s’arrangeant. Mais…”
Elle hésite, se battant contre les émotions qui la submergent.
“Mais je veux vivre chaque instant comme si ce moment était le dernier. Parce que, je suppose, il y a des parties de ma vie que je ne peux plus récupérer, mais ce que je vis encore, je veux le savourer.”
Arthur reste silencieux, absorbant ses mots. Il n’y a ni pitié, ni peur dans son regard, seulement une écoute attentive et un respect profond. Il sait qu’il vient d’entendre quelque chose de lourd, mais il comprend aussi qu’elle vient de se livrer d’une manière qu’elle n’avait peut-être pas prévue.
“Mady,” dit-il enfin, sa voix pleine de douceur et de gravité. “Je ne sais pas ce que c’est que de vivre avec cette peur, ce fardeau, mais je sais que chaque jour que vous vivez est précieux. Et si vous choisissez de profiter de la vie, alors je suis honoré de faire partie de ce moment avec vous.”
Un silence paisible s’installe entre eux, comme un respect mutuel de l’intimité qu’ils viennent de partager. Mady se sent, pour la première fois de la soirée, véritablement comprise, sans jugement. Ses yeux brillent, mais ce n’est pas de tristesse, plutôt de soulagement.
Elle esquisse un sourire, presque imperceptible, mais plein de gratitude.
— “Merci, Arthur. Pour écouter sans poser de questions. Et pour… être là, tout simplement.”
Il lui rend son sourire, avec une simplicité touchante.
— “C’est tout ce que je peux faire. Et si ça peut vous permettre de profiter de la soirée, alors tant mieux. Je suis là.”
Ils échangent un regard, celui de deux personnes qui ont dépassé le stade des mots inutiles et qui, dans leur complicité silencieuse, ont trouvé une forme d’humanité partagée. Ce soir-là, Mady se sent un peu plus légère, un peu moins seule. Et au fond, cela suffit.
A suivre...
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