Durant le trajet, une petite demi-heure seulement, tout en prenant soin de regarder dans le rétroviseur si l’inconnu du lac ne m’avait pas suivie, je me plongeai dans une ambiance musicale classique. La grande musique a toujours épongé mes angoisses, mais aussi mes souffrances émotionnelles ou autres. En l’occurrence, en cet intervalle de retraite sentimentale, indépendant de ma volonté, les angoisses les plus minimes pouvaient rapidement s’avérer disproportionnées et non avenues. Carmina Burana, ou encore le Nabucco de Verdi se révélaient être momentanément un traitement thérapeutique d’urgence. Le manque est une vraie douleur, et l’amour une maladie sournoisement destructrice. Si en plus, viennent se greffer des éléments perturbateurs, l’amertume peut rapidement se transformer en un désastreux comportement. Ma patience est légendaire, et pourtant, parfois, je peux devenir cruelle et violente, retranchée dans une impasse affective. Pour autant, ce début d’été, l’environnement spectaculaire de cette région, et la perspective de liberté que m’offrait ma voiture décapotée, m’ouvraient, sur l’horizon d’une nuit envoûtante, une sérénité particulière.
Les cigales, cessant leur concerto stridulant à la tombée du jour, avaient pour un instant repris une dernière mélodie, plus douce et décousue que durant la journée. En cette période caniculaire, les pauvres insectes chantant du Sud de la France, semblaient avoir perdu tout repère. Il était aux alentours de vingt-deux heures lorsque je passais le portail de mon lieu de résidence.
En haut du perron, une silhouette particulièrement féminine accueillait la mienne, certainement plus désordonnée, entre ma baignade improvisée, mes craintes momentanées et mon retour en cabriolet. Un coiffé décoiffé, nouvelle tendance sûrement dont je ne me sentais pas très fière tout à coup. Mais, forte de ce que me disait jadis mon Amour envolée « Ta beauté est en toi » enfin, c'est ainsi que j’interprétais ses propos, timidement, mais aussi avec beaucoup de détermination, je lançais, sourire aux lèvres
"Bonsoir, je suis Louise, j’ai pris un peu de retard, mais votre région est si belle ...
-Bonsoir Louise, nous n’attendions plus que vous.
Reproche ou politesse ? A cette heure de la journée et après mon périple improvisé, je ne m’autorisais pas une réponse à ma question. À vrai dire j’aspirais à ce que l’on m'indiquât rapidement où je devais déposer mes bagages, afin de profiter au mieux d’une nuit de repos réparateur.
Désirez-vous grignoter un petit quelque chose, ou boire quelque chose, ou les deux peut-être ?
À vrai dire, je préférerais rejoindre ma chambre si cela ne vous dérange pas, sans vouloir vous contrarier, je suis fatiguée ce soir.
Le bain sûrement. Une voix masculine insérée dans la pénombre de la porte d’entrée contrariait soudainement mes aspirations immédiates, à savoir une bonne douche et un lit suffisamment accueillant pour assouvir mes envies de repos. La silhouette de l'inconnu du Lac se profilait aux côtés de mon hôtesse dont j'avais oublié le prénom noté sur ma réservation. L’invité surprise comblait dans l'instant mon trou de mémoire !
Mathilde, je ne savais pas que tu attendais encore un hôte !
Louise, je vous présente Pierre, mon cher frère, ajouta-t-elle péjorativement, me semblait-il, en insistant anormalement sur cher
Quelle poisse ! Voilà que le spectateur impromptu de ma nudité n'était autre qu'un locataire de la maison !
Louise, c’est ainsi que se prénomme la sylphide donc !
La Sylphide répétait Mathilde sur un ton interrogatif.
Oui Louise et moi, nous nous sommes déjà rencontrés ...
Cette réplique n'avait pour mérite que de me contrarier. Pour quelle raison, inexplicable et surtout totalement peu inhérente à ma personnalité, pour quelle raison sentis -je soudain le rouge me monter aux joues ! Moi, Louise l’impudique, voilà que je me vautrais lamentablement devant un inconnu qui de toute évidence tentait une approche, de flirter ouvertement avec peu de talent certes. Mon émotivité consécutive à la déchirure de la rupture prenait encore un nouveau degré dans la hiérarchie de mon hypersensibilité. Putain, Louise, ressaisis-toi, pensai-je, piégée entre deux colères, l’une contre Pierre et l’autre contre moi.
Au risque de vous déplaire, à présent, la Sylphide souhaiterait découvrir sa chambre pour savourer rapidement un sommeil miséricordieux. Je les rejoignis, enfin, sur le perron et suivis Mathilde qui, en maugréant après son frère, me souhaitait la bienvenue dans sa demeure, tout en s'excusant du comportement de Pierre
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© Mysterieuse
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