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Des souvenirs ténus, filtrés et redessinés par un esprit guerrier, conquérant et haineux, guidaient tout droit ses pas, vers une nouvelle vie, pourvu que lui, n’en fasse jamais plus partie. Maria aurait aimé oublier jusqu’à leur première rencontre, le croisement de ce regard qui l’avait chérie tout autant qu’il l’avait haie.
Sur un coup de folie, elle l’avait balayé de sa vie, excédée par sa léthargie sexuelle. La complicité érotique, qui les avait tant comblés, avait laissé place à de la lassitude. L’ennui ne faisant pas partie de son monde, Maria avait vainement tenté d’y remédier par des joutes amoureuses audacieuses Peu à peu le petit écran avait banalisé leur vie commune, jusqu’à la rendre irrespirable, nauséabonde.
Par une belle soirée automnale, elle avait viré de la maison son cher Amour fané, en le priant gentiment d’avoir vidé les lieux lorsqu’elle serait de retour, trois jours plus tard. Le CDI prenait ici fin sur une rupture conventionnelle sans préavis. Tels avaient été ses propos peu anodins, et moyennement accueillis par son compagnon gentiment congédié. Maria n’en était pas à sa première aventure catastrophique. Elle préférait, cette fois, arrêter l’hémorragie avant.
A l’aube de son premier jour de célibat programmé, après être restée éveillée une heure dans son lit, Maria avait fini par repousser les couvertures et se lever, un désordre jusqu’ici inconnu dans sa tête. Il faisait encore nuit sur la plage. A peine, si une lointaine lueur à l’horizon, augurait d’une nouvelle belle journée à venir. Pieds nus, frissonnante dans sa nuisette, attentive au moindre bruit environnant, elle écoutait jusqu’au tic-tac suranné du vieux réveil oublié par Pierre, dans sa fuite accélérée. Il n’avait en rien profité des trois jours qu’elle lui avait élégamment proposés.
La séparation, bien plus fracassante qu’elle ne l’aurait soupçonnée, avait autorisé Maria à quelques verres, pour oublier. Certainement un de trop se rappelait à elle, en ce matin particulier, à en juger par les effets désastreux de la gueule de bois. Instinctivement, elle alluma la lampe de chevet, puis enfila le vieux pull pelucheux et parfumé de Pierre, rare vestige avec le vieux réveil, de l’ex présence masculine. La fraîcheur matinale la surprit lorsqu’elle ouvrit la baie vitrée sur l’océan. Il serait bientôt temps de remettre la vieille chaudière en fonction. Elle aimait son ronronnement, après qu’elle ait poussé quelques soupirs rageurs à l’heure de la mise en route. Cela signifiait les signes avant-coureurs d’un hiver à consommer avec modération. Elle aime tant cette période intermittente qui lui laisse le temps de s’adonner à une de ses passions favorites, la lecture en toute nonchalance, en attendant la saison blanche sur les pistes alpines. Sa vie était ainsi régulée, entre une saison estivale au milieu des surfeurs, et une, non moins exaltante, à prodiguer des cours de snowboard. Pierre, au final, n’en était qu’un banal dommage collatéral. Elle se surprit à sourire sur cette réflexion. Puis elle frissonna, perturbée par la froideur de son analyse. Pourquoi un tel détachement ? Elle aurait dû culpabiliser du manque de ménagement avec lequel elle avait viré Pierre. Mais rien de lui ne lui manquait en cette journée débutante. Ou peut-être oui ! Le petit déjeuner ! Les breakfasts de Pierre n’autorisaient aucune concurrence. Trop tôt pour aller chez Shirley, la vieille anglaise, qui tiendrait son vieux pub démodé jusqu’au moment de quitter ce monde. Shirley n’ouvrait jamais son rideau avant onze du matin à l’arrière-saison. Ne restait plus qu’à œuvrer. Elle referma la baie vitrée, engloutissant, dans un même élan, le bruit roulant de l’océan sur la grève.
Œufs brouillés, muffins, miel et café …L’immuable petit déjeuner, presque une tradition dont Pierre avait convaincu Maria.
Une rencontre est toujours salutaire, songea-t-elle, en refermant du pied, le vieux réfrigérateur. Pierre m’aura appris à bien débuter mes journées. Elle pensa simultanément au footing qu’elle ferait, après, seule mais libre. Ses pensées s’enchainaient, à présent, dans un désordre épuisant. Mais trop d’ordre nuit à la santé morale. La rigueur mine la folie exutoire, celle qui vous fait rire et pleurer, celle qui vous fait vivre tout simplement. Cette pagaille émotionnelle qui l’agitait, en ce matin particulier, ne pouvait que lui être bénéfique.
Après le petit déjeuner, elle ferait ses bagages. Elle ne changerait rien à ses projets initiaux. Une escapade, si brève soit-elle, pose des points de suspension C’est bien de cela dont elle avait le plus besoin à cet instant de vie, une bouffée citadine, du bruit, des matins frileux au-dessus des toits de la capitale. Elle aurait tout autant le temps de lire à Paris.
A la hâte, mais sans oublier d’harmoniser ses tenues, elle avait fait ses bagages. Quelques grammes de lingerie, quelques essences vertigineuses, des tenues sportives, d’autres plus sophistiquées…au cas où, un impondérable sensuel, une invitation spontanée…
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