Focus sur les pensées d’une femme à la fenêtre.
Je rêve d’évasion, sensuelle avalanche d’émotions entre désir d’aimer et celui de de fuir.
Plus tôt dans la journée, nous nous sommes rencontrés, devrais-je dire trouvés !
Attirance charnelle, coup de foudre érotique, comment interpréter une telle folie ?
Je viens juste d’enfiler sa chemise, non par pudeur, par gout !
J’adore porter les chemises de mes amants, à même la peau nue, surtout après avoir fait l’amour. J’aime garder les odeurs, ces empreintes sensuelles, dont même avec le temps, on n’arrive pas à se débarrasser. Il me regarde avec désir, je le sens et cela même si mon regard se porte loin vers l’horizon. Je ressens ces choses-là. J’aime son odeur. Je sais déjà que c’est un piège.
Plus tôt dans la journée
Le train démarre dans un silence poli, les gestes semblent ouatés. Bercée par le cahotement du train, je devrais plonger dans un demi-sommeil réparateur. Il en est ainsi, à chacun de mes voyages. Mais aujourd’hui, je prends le temps d’observer mon environnement le plus proche. Les voyageurs, une fois maitrisée l’angoisse ou la joie du départ, immanquablement plongent dans une sorte de léthargie, à mi-chemin entre l’abandon et l’oubli. Les paupières s’alourdissent, mais après une lutte sans merci, finissent par tirer le rideau. Les esprits s’évanouissent, les âmes se délassent, du stress se débarrassent au profit de rêves bien au-dessus de la surface. J’analyse les respirations, souples et légères pour certains, plus obstruées pour d’autres dont les ronflements incongrus les ramènent subrepticement à la réalité de la promiscuité. Je ressens une sorte d’immersion clandestine au cœur d’un océan de silence et d’intime. J’en souris ! Il est temps que je tente une bulle solitaire. Je m’isole innocemment sous la cascade musicale de mes écouteurs. Je regarde le paysage défiler à grande vitesse, enrobée de la voix suave d’Etienne Daho. Le convoi a pris son allure de croisière. Dans un peu moins de trois heures je serai en Gare de Lyon. La musique prend une tout autre dimension lorsque la vitesse avale les paysages. Une fuite en avant, ou une étrange impression que le temps passe trop vite et plonge dans un vortex dont on ignore la dimension. Mais en l’occurrence ce n’est qu’une illusion dans un théâtre d’ombres, un trouble psychotique, éphémère, en harmonie parfaite avec mon impatience à rejoindre la Capitale. Eclair dangereux et troublant, mais éclair prégnant.
Ma morosité chronique, à chacun de mes déplacements, s’avère inversement proportionnelle à la distance qui s’amenuise à plus de 300 kilomètres à l’heure, à travers la campagne française. Je quitte l’univers de la Province pour celui plus particulier de Paris, cette chère capitale à qui je voue un amour sans limite. Que m’importe la grisaille, que m’importe la pluie, que m’importe …Rien ne me contrarie lorsque je parcours, à la merci de mes envies, les rues de Paname.
Mon isolement musical, en acoustique parfaite avec les images qu’elles perpétuent, me plonge progressivement dans la mélancolie heureuse d’une après-midi pluvieuse. Pourtant, je ne peux pas être inattentive au regard sombre et irascible d’un jeune homme semblant engueuler copieusement sa compagne camouflée derrière le dossier du siège. Cette aussi soudaine qu’imprévisible distraction pose, insensiblement, un sourire inattendu sur mes lèvres scellées. A la faveur de l’étonnement, le colérique voyageur quitte sa place, pour rejoindre la place vacante à mes côtés.
Surprise, mais pas totalement désorientée, je murmure un bonjour aussi poli que timide, mais avec cette sensualité particulière dont je suis maintenant dotée depuis mon adolescence. Après quelques désagréments occasionnés par ce don naturel de féminité, à un âge plus propice à la vertu et l’insouciance qu’à la séduction, j’ai fini par accepter. J’ai apprivoisé ce charme trop voyant. J’en ai gardé l’art du naturel et du camouflage !
Je ne quitte donc pas mes écouteurs, quitte à frôler l’incorrection. J’en suis consciente, mais cela me met pour un temps à l’abri d’une conversation dont je n’ai pas forcément envie. Mais il pointe son regard interrogateur dans le mien, dans une posture des plus surprenante. L’évidence d’une apostrophe vient de poindre sous mon nez. Une intrusion en bon et due forme.
« Je m’appelle Viktor, avec un K »
Quelques sièges plus loin, la passagère victime de la colère de Viktor, ne manifeste plus aucun signe de sa présence. A mon identique, elle a choisi l’isolement musical. Une analyse succincte de la situation m’autorise l’imprudence de me défaire de ma solitude. Après avoir retiré mes enceintes auriculaires, je m’adresse, avec un soupçon d’insolence à Viktor, tout en enroulant méthodiquement le cordon de mes écouteurs.
« Oui, Viktor avec un K, avez-vous besoin de quelque chose ?
-Oui un minimum de considération. Ce n’est visiblement pas mon jour.
-Votre copine vous a largué ?
-Quelle copine ?
-Votre voisine de siège !
-Ah elle ! Jugez-vous toujours aussi rapidement les gens ?
-Et vous ?
-Je ne vous juge pas. Mais nous vivons dans un monde hermétique. Vous en êtes la preuve vivante. En fermée dans un univers musical. Mais ce sourire ?
-Un sourire amusé et retenu. Votre colère m’a fait sourire dans un wagon de train dont l’ambiance est spécifiée à l’entrée « ZEN ». A mon tour de poser une question indiscrète. Pourquoi tenez-vous tant à ce K ? K comme rock ? Musicien peut être ?
-Pas pro, mais oui ! Mais rien à voir avec la musique. C’est vraiment ainsi que s’écrit mon prénom. Trop souvent on en écorne l’orthographe, alors je prends les devants. Mais j’ai lu autre chose que de l’amusement dans votre sourire. Une sensualité rare doublée d’une positivité et une luminosité tout aussi rare. J’ai connu une jeune fille, il y a longtemps avec ce même charme éclairant. Elle passait son temps à camoufler sa sensualité innée. Je n’ai jamais oublié son regard. C’est dingue comme vous me rappelez cette fille !
-Vous comprenez mieux pourquoi je m’enferme dans l’univers musical. Pour éviter ce genre de dérive !
-Quelle dérive,
-La vôtre ! Vous me draguez là !
-Ah non, pas du tout ! C’est juste que vraiment je suis très sensible à la physionomie des gens, et la vôtre ne m’est pas inconnue, j’en suis convaincu. »
Il a l’air sincère, mais je reste sur mes gardes. Pour autant je laisse une chance au destin. Et s’il avait raison. Et si à force de camouflage je passais à côté, si ce n’est du bonheur, mais d’instants de bonheur, qui, mis bout à bout, rendent la vie heureuse.
L’étrangeté de la situation m’interpelle. Il me scrute, à la recherche du moindre détail, et notamment celui qui pourrait lui permettre de me reconnaitre définitivement. Alors, instinctivement, à mon tour, je le dévisage. Il est plutôt beau. Il appartient à la classe de ces individus qui cultive leur look tout en faisant croire l’inverse. Un désordonné ordonné, dans les cheveux, dans la barbe. J’imagine un tatouage discret sur sa peau ! Un truc rock ’roll, un truc musicos. Mais je peux me tromper ! Son éducation bourgeoise ne lui prête peut-être pas une telle fantaisie ! Que dirait mère ? Car je ressens, derrière cette apparence physique et vestimentaire, une éducation exemplaire qui ne demande qu’à être bousculée. Je sais de quoi je parle ! La rigidité de mon éducation a fait de moi une rebelle ! Pas de tatouage sur la peau, non ! Je n’aime pas les tatouages, je déteste les tatouages ! Mais une tendance affirmée à aller à l’encontre de tous les projets ouatés et sophistiques de mes parents. J’ai préféré l’évasion à la reconnaissance éternelle de mes géniteurs. C’est ça, je me suis évadée de ce monde aseptisé. J’aurais aimé être la fille de gens scandaleux. Je n’aime pas les lignes droites et ne les aimerai jamais. Mais Il n’y a pas d’âge pour réapprendre à vivre autrement. La traversée du désert et puis la révélation ! A force de me poser des questions interminables sur mes états d’âme, j’ai entamé des études de psychologie. Entamer et achever. Alors Viktor avec un K, vos talents physionomistes et autres perceptions pseudo sensorielles.
« Non, j’ai beau chercher, c’est juste que vous le ressemblez tellement, je suis sous le charme
- Puis-je me permettre une indiscrétion ? Vous faites quoi ce soir Viktor »
Interloqué par la pertinence de ma question, il laisse s’écouler un bref laps de temps avant de balbutier une réponse aussi laconique que surprenante
-Ben rien ! »
Et voilà, qu’à présent, il est entortillé dans mes draps, épuisé par une longue fin d’après-midi entre les bras, entre les reins de l’inconnue du train !
A mon arrivée en gare, je l’ai pris par la main, il m’a suivie !
Je lui ai juste tu viens, il a souri et m’a dit oui.
Un instant de bonheur, une bulle de temps dans un monde chronophage, à savourer à la volée
Aimer et être aimé, ne serait qu’un moment n’est-ce pas le plus important ?
“La passion reste en suspens dans le monde, prête à traverser les gens qui veulent bien se laisser traverser par elle.” écrivait Marguerite Duras dans l’amant
A cet instant, enveloppée dans sa chemise, la femme à la fenêtre que je suis a envie d’essayer…
Et lui ?
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