A l’instant où il passait la porte de la brasserie, il posa sur moi un regard équivoque, entre surprise et ravissement contenu. J’interceptai son sourire, lui renvoyai à l’identique comme une politesse amicale face aux facéties du destin. Pourtant, malgré cette complicité asymétrique, il ne se dirigea pas vers moi. Ou plutôt, il bifurqua, presque à angle droit devant ma table. Provocation, rancœur, timidité ? Quelle était la raison de cette esquive ? Une feinte, une ruse pour mieux m’hameçonner ! La réponse fut brutale ! Une superbe rousse aux yeux verts pétillants. J’ai toujours été très sensible aux charmes féminins, non par orientation sexuelle, mais parce que je sais reconnaitre une belle femme, comme je sais reconnaitre un bel homme. En fait tout réside dans l’allure, le port de tête et la prestance des épaules. La belle rouquine, savait à merveille mettre en valeur la séduction de ses rondeurs. Un véritable talent en vérité, elle était rayonnante, pire solaire. J’étais sous le charme et compris sans aucune jalousie, qu’il ait poursuivi son chemin, plutôt que de venir me saluer au nom du bon vieux temps.
Le destin ! Y croire ou pas. Mais parfois il s’impose comme une certitude incontournable.
Plus de dix ans sans nous revoir. Des nouvelles de temps en temps, aux anniversaires, au changement d’an au début, puis au changement de décennie et puis, et puis…le temps passe, la vie prend une autre direction. Bifurcation. Les souvenirs demeurent, les mauvais et les bons. Mais les peines amoureuses ont ce talent de maquiller, au fil des jours, le pire et de colorer un peu plus le silence de nos rêves. Ni Rancœur, ni morsure, juste la beauté d’une liaison inachevée.
L’écriture fut mon exutoire, mais aussi ma solitude, des souffrances intérieures exacerbées.
Ecrire m’a aussi appris à m’aimer avant d’aimer les autres. Alors comme une audace, on écrit pour résister, isoler pour un temps cette empathie maladive qui vous empêche de respirer tant vous devenez l’autre pour mieux l’aider. L’empathie est une très belle qualité, quand on ne tombe pas dans l’excès. En écrivant j’ai juste appris à soigner mes douleurs avant de soigner celles des autres. Aujourd’hui sans être détachée, je sais gérer mes émotions. Et là pour le coup, il était essentiel que je ne laisse rien transparaitre de mon bouleversement.
La chance, la destinée ou peut-être la fatalité venait bousculer les pierres de l’édifice où je m‘étais enfermée.
Il était là à quelques mètres de moi, quelques années
plus tard, quelques rides en plus et pourtant, le passé comme une source résurgente l’éclaboussait de sa jouvence.
Une évidence, j’étais toujours aussi amoureuse, aussi accro, aussi passionnée. Gere tes émotions, m’entendais-je murmurer entre mes lèvres tremblantes. Mon regard se brouilla de larmes imbéciles…
« Garçon l’addition »
Et voilà, c’était fini, la bulle allait exploser d’un instant à l’autre !
Je plongeai ma main dans mon sac, à la recherche de mon carnet, mon fidèle compagnon d’écriture et gribouillai quelques notes sur l’ambiance de la brasserie, la couleur du temps, l’effervescence des serveurs et …l’orientation de son regard. Le sourire qu’il venait de m’offrir bien qu’en grande discussion avec la rousse incendiaire…
Sourire tendre, pas enjôleur. Regard détourné, soupçon de gêne dans l’iris, lèvres affolées, sourcil inquiet…autant de notes à exploiter, à poser sur une nouvelle histoire à inventer. Ou alors une histoire d’amour à resouder, pour que jamais, plus jamais, elle ne puisse se briser.
Panique…Il dirigeait ses pas vers moi puis avec un aplomb surprenant, il me questionna
« On se connait ? »
La bulle explosa !
Mon esprit torturé avait tout inventé. Mais l’Amour lui était bien réel.
© 2022 Do
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