Dans la même errance émotionnelle, la même recherche inconsciente d’une mémoire utérine, je vins à douter de cette rencontre fortuite. Elle pouvait être la genèse d’une divine idylle, ou, à contrario, le début des emmerdes. Pour autant, je me laissais embarquer par la positivité.
A cet instant précis, je ressentis de tout mon être, toute mon âme, que ma solitude avait été rompue par la présence de Romain ! Le silence auquel il me confrontait, bien involontairement m’apparaissait doux et bienveillant ! Auparavant, il m’aurait paru menaçant et interminable ! Etrange complicité que la nôtre, si naissante soit-elle !
Embarquée par mes interrogations existentielles, je ne remarquais pas la disparition de Romain ! Une angoisse soudaine m’étreignait, puis portait mon regard à sa recherche dans la pièce, puis bien au-delà ! Ma voix étouffée s’inquiétait de sa présence dans la maison ! Mais seul le silence répondait à mes appels de détresse ! Poussant plus avant mes investigations, regardant par la haute fenêtre, je découvrais avec stupéfaction que la voiture n’était plus garée devant la maison !
« Putain, Romain ! C’est quoi ce délire ! Tu t’es bien foutu de ma gueule ! Tu t’es barré avec mes bagages, mes papiers et tout le reste ! Je me suis fait baiser quoi ! Quelle idiote, mais putain quelle idiote » Je ruminais à haute voix, le regard capturé par le jardin désert ! Quelques larmes de rage ou de désespoir, ou un savant mélange des deux roulaient à présent sur mon visage, ébauche symbolique d’un sillon ravageur, sur mes jeunes rides !
L’inconfort de la situation me procurait un dégout de moi-même dont je n’avais ressenti la saveur depuis fort longtemps ! Mon empathie quasi-maladive m’avait souvent confrontée à des situations peu enviables du même genre. Mauvaises expériences et maturité m’avaient aidée à m’épargner ces désagréments ! Mais pour le coup, je m’étais fait avoir comme une bleue ! Cette maison si majestueuse au départ, m’apparaissait soudain comme un vulgaire squat
La colère est un sentiment qui ne fait pas partie de mes bagages ! Pourtant, elle prenait possession de moi, au point qu’une envie destructrice me tenaillait l’esprit ! Je prenais le premier bouquin à portée de ma main ! A la recherche du temps perdu ! Un titre en totale adéquation avec la situation ! Je l’envoyais balader avec une violence dont je ne me savais pas capable ! L’ouvrage s’éventrait au sens le plus littéral du terme, libérant de ses entrailles une collection de photos jaunies par le temps et l’oubli ! Soudain consciente de la désinvolture avec laquelle j’avais agi, engendrée par une haine aussi violente que passagère, je ramassais les souvenirs éparpillés au sol, et les replongeais dans le ventre du livre !
A la page 148, une niche avait été creusée jusqu’à la fin du livre, véritable boite à trésor ou un coffre à secret ! Cette découverte apaisait définitivement ma bourrasque colérique au profit d’une curiosité légitime ! Mais pour autant je refermais le livre et son contenu et le reposais à côté de son jumeau, non sans l’avoir aussi ausculté !
Une feuille volante s’en échappait, sur laquelle était mentionné, manuscritement
“On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver pleinement.” Page 148
Une véritable énigme ! Dans le flou du temps, se cachait un ilot de netteté qui ne demandait qu’à triompher ! Une dimension alternative se dépliait autour de moi, non sans alimenter mes interrogations ! Après tout avais- je peut être mal jugé le départ précipité de Romain, peut être …
Le vrombissement d’un moteur mettait un terme définitif à mes incertitudes ! Romain était de retour et, à en juger son gracieux sourire, plutôt de bonne humeur ! M’apercevant derrière la haute fenêtre de la bibliothèque, il manifestait à mon égard une légèreté magnanime agitant à bout de bras un sachet de viennoiseries et autres gourmandises pâtissières ! Mes précédents griefs n’avaient plus aucun fondement ! Je me maudissais intérieurement tout en l’accueillant sur le palier d’un baiser enflammé.
« J’ai pensé que tu avais un petit creux, le voyage, les émotions …
-Les émotions, quelles émotions ?
-Ben nous, ici, ce baiser par exemple !
-Ah ça !
-A quoi pensais tu d’autre ?
-Oh rien !
-Hum ! Je me contenterai de cette réponse, mais je ne suis pas dupe ! »
Nous dévorions petits pains au chocolat et brioches au sucre avec un appétit d’ogre. Romain me tendait un thermos de café gentiment offert par la boulangère, précisa-t-il, avant d’aller chercher deux grandes tasses dans la cuisine ! Je le suivais, intriguée, et découvrais avec stupeur une salle magistrale, une véritable pièce à vivre, tellement éloignée du modernisme contemporain de nos cuisines ! Tout dans cette demeure me renvoyait à une époque révolue ! J’imaginais que cette maison avait dû être le décor de biens de cérémonies familiales et autres agapes festives !
« Je n’arrive pas à croire que tu as vraiment vécu ici ! C’est tellement désuet et majestueux à la fois ! Cette maison est figée, et en même temps elle transpire la vie, le bonheur ! Tu as dû être heureux ici ! Même si tu n’as pas connu tes parents ! Je ne connais pas mon père ! Ma mère m’a élevée seule ! J’aurais adoré avoir une vraie famille ! Enfin tu vois !
-Oui je vois, et oui j’ai été heureux et entouré de beaucoup d’amour !
-Notre rencontre n’est pas anodine ! Nous sommes deux orphelins !
-Pas vraiment !
-Aujourd’hui oui ! Romain…j’ai envie de toi ! »
Sans plus attendre, il me portait jusqu’à la grande table centrale de la cuisine, avant de m’y déposer avec délicatesse et d’entamer mon effeuillage avec une douceur extrême !
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