L’incertitude et le désir guident nos pas vers cette chambre. Un long couloir sombre, et au bout, la lumière blafarde d’une vieille ampoule pendant désespérément au plafond. Il est là notre bonheur, à portée de main, prisonnier derrière cette porte entrouverte sur un soleil naissant ou une brume obsolète. Je suis un peu effrayée par le délabrement de l’endroit. Je le soupçonne d’avoir été douillet pendant des décennies. Dans la rai de lumière que m’octroie l’entrebâillement de l’ouverture grinçante, je devine une tendance art déco à faire pâlir de jalousie le plus humble des antiquaires. Le vieux parquet rongé par l’ennui semble respirer à nouveau sous la légèreté de mes pas sur le bois usé. Il craque, il gémit, à l’image de mon cœur qui bat sans harmonie. Le désordre qui règne dans ma tête embrumée d’effluves sensuels et de mes désirs d’aimer, cogne à mes tempes. Il bouscule mes émotions. Connaitre l’âme de l’autre ne me suffit plus. J’ai juste envie de tout savoir de son corps. C’est instinctif, presque animal, et aucune règle ni crainte ne mérite d’être respectée. Nous n’en sommes qu’à la découverte dans l’audace. Elle n’attend qu’à être transformée en intimité parfaite de deux corps imbriqués dans le même plaisir. Revêtue d’indécence, j’envisage d’éclairer ma présence d’une note subtile de sensualité. Pervertie de malice, de mes iris brûlantes à mes fines chevilles, j’ondule et le taquine à son corps défendant D’un ballet inventif aux saveurs exotiques, entre déhanchement et rupture tantrique, je le piège ses élans de mâle. Ma robe m’a quitté lui dévoilant ma silhouette nue et la subtilité de frissons sur ma peau. Pourquoi le bousculer dans cet étrange endroit qui accueille nos pas égarés ?
Car c’est bien par hasard, que nous nous sommes lancés dans une aventure dont on ne connait pas la fin. Nous nous connaissons à peine, quelques heures tout au plus. Et cette attirance charnelle qui ne nous quitte pas. Il m’a offert un café dans un bar du quartier de la vieille ville. Quelle ville ? Sans importance, une ville du Sud, accablée de soleil le jour, parfumée d’une averse orageuse la nuit. Nous avons parlé, souri, aimé nos mimiques silencieuses, les plissures de nos yeux lorsque nous avons ri, les parfums de nos peaux jusqu’au déséquilibre…Puis il m’a invitée à le suivre. Je n’ai pas hésité un instant, sans savoir où il allait. Mon côté obscur, sûrement ! Tout le monde a un côté obscur. Vivre c’est prendre des décisions et en supporter les conséquences. Oui je l’ai suivi, sans savoir où il m’emmenait, sans savoir qui il était vraiment. J’ai envisagé, l’espace d’un instant, ma décision comme une fuite de la banalité d’une vie sans ressort uniquement guidée par la pensée binaire. Nous avons rejoint son véhicule sans prononcer un mot. Nos échanges de regards étaient bien plus explicites que n’importe quelle phrase. Nos corps, jusqu’ici entravés par des principes aliénants, trouvaient soudainement un rapprochement à l’allure illicite. Une complicité érotique accompagnait notre silence énigmatique. L’envie d’aimer transformait l’esclavage moral en liberté. Puis il m’a invitée à monter dans son véhicule avec politesse, mais aussi beaucoup de réserve. Me questionnant des yeux sur ma certitude à le suivre, puis rayonnant de mon silence affirmatif, il a refermé la portière. A cet instant, une vague de désir a submergé mes émotions. Papillons au ventre, le cœur qui bat aux tempes, j’ai accueilli son odeur dans l’habitacle de la voiture comme une claque, la douce agression du désir qui gronde. « C’est parti », a-t ’il dit, le sourire bienveillant Je me suis laissée transporter par les ondes magnétiques dont il m’accablait, lorsqu’il posa sur moi un regard lourd de conséquences. J’ai pu y lire, pèle- mêle « tu me plais, as-tu confiance ? » tout autant que, « ça va aller et j’ai besoin de toi » Nous avons roulé, beaucoup roulé. Nous avons parlé, beaucoup parlé sans jamais vraiment nous dévoiler. Le mystère est excitant voir enivrant. Est-ce d’ivresse ? Je me suis endormie, épuisée d’émotions ou d’illusions, ou peut-être pervertie au jeu des désirs. Une soif d’être aimée, prise ou encore malmenée s’est glissée, sans pudeur dans mon esprit tourmenté, jusqu’à l’épuisement. J’aurais aimé écouter de la musique. Elle a ce pouvoir particulier d’apaiser les angoisses. Ou bien encore de combler les silences quand les mots ne suffisent plus, quand les regards ne peuvent plus s’atteindre. Les paysages défilaient, et, au fur et à mesure, me plongeaient dans des ambiances et des décors différents. Je ne cherchais pourtant pas à connaitre la destination finale, évitant scrupuleusement de lire toute indication routière. Une confiance sans équivoque m’avait invitée à le suivre. A présent, mon désir de combattre les préjugés me demandait du courage pour vaincre mes peurs. Je refusais inconsciemment et me laissai submerger par le sommeil. Je m’assoupis jusqu’à ce que le ronronnement du moteur, s’atténuant progressivement, me sorte de ma torpeur en douceur. Un sourire amusé accueillit mon réveil à l’heure où la nuit pose ses voiles d’ombre. Je reprenais rapidement un contact charnel avec la réalité audacieuse de la situation. Nous étions au milieu de nulle part, enfin le pensais-je, car la vérité était autre. Mais je ne le saurais que plus tard. Il m’abandonnait dans la voiture un instant… « Attends-moi un instant, je reviens me murmurait-il -Mais où sommes- nous ? » Il n’était déjà plus là ! Je ne suis pas de celles qui obéissent, loin de là. L’intrigue se faisait excitante, au fur et à mesure de son évolution. J’abandonnai le véhicule et me laissai guider par une lumière blafarde filtrant d’une grande fenêtre poussiéreuse d’un hôtel particulier trônant dans un espace généreusement arboré ! Je montai les quelques marches du double escalier monumental jusqu’au perron.
D’un regard environnant j’embrassai le mystère de la nature à la tombée de la nuit, comme si j’allais définitivement quitter l’existence terrestre. Uniquement guidée par le désir et mon goût prononcé de l’étrange, enrobée de prudence, je pénétrai dans la grande demeure vide plongée dans l’obscurité. Seul un filet de lumière filtrait à l’étage. Un fil d’Ariane en quelque sorte que je m’empressai de suivre. Je songeai à appeler mon hôte, mais je me révisai rapidement. Je ne connaissais pas son prénom. Aussi stupide que cela puisse paraître, nous avions omis de nous présenter…Je le retrouvai malgré tout à l’étage, prostré devant l’entrebâillement d’une grande porte à double battant, de celles qu’on ne peut guère apprécier que dans des vieilles demeures luxueuses ! Son état de prostration entrouvrait soudainement une brèche dans le pourquoi de cette expédition ! Il avait à présent l’air d’un petit garçon qu’on aurait arraché à sa mère ! Il en était si émouvant que je songeai un instant à rebrousser chemin le plus discrètement possible afin de le laisser dans la plénitude de son recueillement. ! Mais j’étais interrompue dans ma réflexion par sa soudaine volte-face. Le vieux parquet avait pris possession de ma décision, en craquant sous le poids de ma silhouette tentant de rebrousser chemin ! Interpellé par le bruit sec isolé dans le silence ambiant, mon compagnon de fortune se retournait ! D’abord emporté par la colère, il invectivait contre moi, avant de s’adoucir ! « Qu’est ce que tu fous là ? Je t’avais dit de m’attendre ! mais puisque tu es là, viens » ! Ce disant il me tendait la main, afin que je le rejoigne ! Je ne tenais pas compte de son mécontentement, consciente de ma désobéissance ! Lorsque j’arrivais à sa hauteur, il saisissait ma main dans la sienne, et de l’autre, ouvrait plus largement le battant. Il me dévoilait enfin le mystère de sa fascination ! Une incroyable bibliothèque ! Des centaines et des centaines d’œuvres dormaient là, parfaitement rayonnées sur des étagères de bois massif ! La pièce était entièrement tapissée, du sol au plafond, de livres et d’encyclopédies ! Je me laissai imprégner, un instant, de l’odeur si particulière des livres anciens, cette senteur poivrée due à je ne sais quel mélange de cuir et de papier, de colle des reliures et d’encre évaporée ! Les odeurs sont étroitement liées à la mémoire ! Celles des vieux manuscrits font appel aux souvenir de la lecture d’un vieux classique, et bien souvent au temps de l’enfance. Je plongeai un instant dans un espace émotionnel intime, déjà rudement mis à l’épreuve depuis le début de la journée. Ma vue s’adaptant progressivement à la pénombre ambiante, je détaillai enfin la pièce ! Le sol était recouvert d’une épaisse moquette rouge vermillon fanée, en parfaite harmonie avec l’unique meuble de la bibliothèque, une méridienne en velours de la même couleur. Les rares espaces muraux sans livre, arboraient fièrement des portraits peints à l’huile ! Une échelle coulissante donnait accès aux œuvres les plus hautement perchées. L’ensemble baignait dans une lumière naturelle pénétrant par une large fenêtre cintrée de plus de trois mètres de haut ! Les vitres de cette demeure désertée de ses occupants, rudement éprouvées par les caprices météorologiques, projetaient une lumière étoilée sur la bibliothèque engourdie. Le temps semblait figé et frappé d’un intemporalité intellectuelle
A suivre ...
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