En cette journée particulière de la la langue française , je me devais d'écrire ...
Le plus surprenant dans cette mésaventure, c’est qu’elle n’avait aucune idée de la personne qui allait taper à la porte, aucune idée de la personne qui s’était payé le culot d’annihiler, en une fraction de seconde, un ange de plâtre et de pierre, gardien malgré lui de lourds secrets. C’était du moins le rôle qu’elle lui avait attribué, tant elle en avait fait son confident dans la solitude de son appartement parisien.
A présent, elle était seule.
Atteinte de tristesse compulsive depuis son retour sur le vieux continent, cet état qui dévore les âmes, Chloé n’avait de cesse que d’attendre des transformations à sa vie, et que, petites, voire insignifiantes, elles mènent à un bouleversement.
Un sentiment d’échec l’habitait, en même temps qu’un mélange d’enthousiasme et de soulagement
Il n’y avait guère que l’endorphine qui pourrait à présent apaiser ses angoisses existentielles .La sagesse n’était plus de mise et par l’entremise de son cher gardien, elle pouvait enfin pousser la porte sur un nouveau destin.
On ne choisit pas sa vie, c’est elle qui vous choisit. La philosophie de Grand- Ma, prenait ici toute sa pertinence.
Pour avoir survécu à la tempête houleuse outre- Atlantique, elle savait à présent qu’il n’existait aucun retour en arrière possible.
Son évolution, sans mériter une révolution, passait inévitablement par une métamorphose vestimentaire.
Devenue naturellement casanière à Montréal, compte tenu des fréquentes températures polaires, elle avait, au fil du temps, abandonné ses tenues glamour au profit de vêtements plus confort et à fortiori moins seyants et conformes à la sensualité de ses formes. Mais son dressing regorgeait de ces petites toilettes, qui vous redonnent en un instant, sans tomber dans la superficialité, ce charme inhérent au genre féminin. Son choix tombait sur le strict mais non moins « classieux » de l’indémodable petite robe noire. A la dentelle glamour et sexy qui suggère sans dévoiler, elle préférait l’esprit mi preppy, mi religieuse de la version avec un petit col claudine. Ni trop longue, ni trop courte, elle donnait à Chloé une allure faussement sage dont le mystère restait à élucider.
Une robe n'a de sens que si un homme a envie de vous l'enlever, je dis bien l'enlever, pas l'arracher en hurlant d'horreur", écrivait Françoise Sagan
Une paire de babydoll rétro donnait une note printanière à son allure, en ce début d’automne. Satisfaite de son apparence, en harmonie avec la situation, elle relevait ses cheveux en chignon désordonné, de ceux qu'’on a envie de libérer et argumentait ses lèvres d’un rouge flamboyant et ses joues d’une poudre légère. Le strict à ses limites pensait-elle, en souriant à son reflet dans le miroir !
A se perdre dans l’apprêtement pour accueillir décemment mais pas trop, l’imprudent voisin, elle n’avait plus guère le temps que de préparer quelques mises en bouches galantes .Ces mots résonnaient à son oreille naturellement .Mise en bouche …une allégorie sensuellement évidente compte tenu de la situation. L’aventure angélique prenait résolument une tournure plus lubrique dans l’inconscient de Chloé. Sans attache, mais aussi un peu perdue dans la solitude sauvage du célibat, elle espérait que cette rencontre fortuite rayonne de liberté et de frivolité …
La légèreté de l’ambiance passerait forcément par une évasion culinaire délicate mais aussi épicée, comme peut l’être un jeu de séduction. La cuisine est l’art le plus beau et le plus complet qui en appelle aux cinq sens et au meilleur de soi même, comme l’amour et ses secrets. Manger, baiser, n’étaient-ils pas des plaisirs similaires ? Goûter du bout des lèvres avant de déguster, rechercher un bouquet sous la langue avant de savourer, respirer les senteurs pour qu’elles vous enivrent, tant de similitudes ne pouvaient aboutir qu’à un affolement de la chair et des papilles.
L’inspiration, l’innovation pour un instant sans intention, mais coloré d’intuitions, ébréchaient ses pensées abusives .Elle convertissait ses audaces à des motifs plus gustatifs.
Bouchées gourmandes de foie gras au pain d’épice, anchoïade improvisée aux légumes du jour, tartare de saumon sur purée d’avocat, brochettes de crevettes fraîches marinées au gingembre. En un tour de main, elle élaborait deux assiettes gourmandes aux saveurs conjuguées, terre et mer, pour trahir ses talents de jeune cuisinière. Puis elle débouchait un grand cru classé Saint Emilion 93, en bénissant sa Grand-Mère de l’héritage laissé en cave et surtout en espérant que son hôte soit amateur de vin.
A la lueur de ses espoirs et des bougies chancelantes des photophores disséminés çà et là, elle faisait un dernier tour d’horizon du décor ambiant de son regard critique, avant de s’affaler, mais avec élégance, sur la méridienne de Grand Ma, aujourd’hui orpheline de sa propriétaire .
Trois coups retentissaient à la porte, immédiatement surenchéris de l’insistance du carillon d’entrée
A suivre ...
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