[...] Ma réponse, si tant soit peu qu'’il m’ait interrogée, s’était révélée très pragmatique. Un bout de papier, des chiffres griffonnés, des mots balbutiés en silence « Appelez moi à ce numéro quand vous voulez ».Je glissai cette invitation dans la poche de sa veste en sommeil sur le dossier d’un fauteuil proche du musicien, à son insu, puis m’échappais furtivement de la soirée.[...]
Antoine ne m’avait dès lors virtuellement plus quittée, investissant mon esprit le jour, la nuit, hantant mes silences, mes écrits, ma musique, mon ennui, mes soupirs, mes cris …
Le temps était passé, sans jamais s’octroyer une pause, sans jamais se retourner sur la furtivité d’une rencontre fortuite…Un mois, deux mois peut –être plus …
Et puis une sonnerie retentissante dans le silence de mes insomnies…et puis cette voix si singulière qui m’avait apaisée et torturée à la fois, en plus enrouée peut être ou plus rocailleuse .J’y dénotais pourtant une note particulière qui ne m’avait pas frappée la première fois. Une tonalité étrangère, anglo-saxonne, assurément, effleurait mon oreille, avant que d’aiguiser ma gourmandise. J’ai toujours eu un faible pour les étrangers s’appliquant à parler la langue de Molière. Ils demandent une attention particulière, parce qu’émouvants dans leur difficulté à bien s’exprimer. Peu importe l’origine, scandinave, nord ou sud américaine, slaves ou plus méditerranéennes …Seules les intonations et la confusion sont génératrices d’une séduction spontanée. Antoine possédait soudain, au creux de mon oreille cette affabilité…Me remémorant à la hâte, son visage, sa peau mate, une pilosité abondante évidente malgré un rasage au plus près, j’essayais de lui attribuer dans l’urgence une nationalité. J’aurais pensé argentin …mais cet accent infirmait mon hypothèse !
« Hey, allo, allo, allo ?
-Bonjour, bonsoir, heuuu, bon quoi au fait ?
-Bonjour, je suis désolé, il est à peine …ou déjà, un peu plus de cinq heures du matin ! Je suis en train de rentrer, une soirée ordinaire, un peu trop arrosée, comme à l’ordinaire et puis …
-Et puis vous décidez de m’appeler aux premières lueurs …
-No, des explications je vous dois !
-No, je vous dois des explications !
-Hein ?
-En français on dit « Je vous dois des explications »
-Ah oui, j’ai beau habiter la France depuis plus de 11 ans, j’ai du mal parfois ! Je viens de trouver un bout de papier avec un numéro de téléphone dans le fond de ma poche …je n’ai pas mis cette veste depuis des mois …et je suis curieux …alors j’ai appelé !
-Ah oui, je vois ! Bon ben moi c’est Cindy, je vends des caramels mous dans les foires !
-Ah ah ah ! On ne se débarrasse pas de moi ainsi…je sais très bien qui vous êtes ! C’est un miracle que de vous avoir retrouvée… Miss Do !
-Miss Do ? Comment connaissez-vous ce surnom Antoine ?
-Et vous le mien ? Je m’appelle Simon, en anglais please, prononcez ai pour i. Antoine c’est mon nom d’artiste ! Et vous ?
-Do, Miss Do, c’est uniquement pour les intimes, très intimes, c’est l’autre Do, le côté obscur, la sensuelle, la charnelle …
-C’est bien celle que j’ai croisée un soir …C’est Miss Do qui m’a séduit ! J’ai besoin de votre poésie et vous de ma musique …Que pensez-vous d’une complicité artistique ? »
Ce n’est pas vraiment à ce genre de complicité à laquelle je songeais dans l’instant, et l’aube environnante n’était pas vraiment apaisante pour ma chair trop faible .J’adore faire l’amour au point du jour, surprendre l’autre, d’un baiser si léger qu'’il pourrait être un rêve, d’une morsure humide à la base du cou, d’une main caressante sur le sexe au repos, qui enfle et réagit à la moindre caresse. C’est l’instant merveilleux où les corps apaisés après une nuit de sommeil sont les plus réceptifs. Seuls nos sens veillent, tous nos sens ! Inutile d’ouvrir les yeux, les émotions sont là, distillées, par les bouches qui se scellent, les langues qui s’emmêlent, les peaux qui se mélangent, les sexes qui se retrouvent pour un nouveau partage au parvis d’un jour qui se dessine. Le désir matinal imprimait mon intime sous les notes enrouées de Simon alias Antoine. Un désir m’envahissait guidant ma main valide entre mes cuisses, dans la tiédeur humide de mon sexe tourmenté par la possibilité de baiser des potron-minet, dans les lueurs roses des premières heures du jour !
Des mois que je n’avais pas fait l’amour, ni baiser du reste, et cette voix qui torturait ma sensualité …je l’écoutais parler et me caressais au rythme de ses pensées, en gémissais de souffrance, autant que de plaisir. Plus un son ne s’échappait de ma gorge, que ceux de mes impudeurs à peine camouflées. La voix off de Simon accompagnait mes folles intuitions érotiques …
Dans un soupir à peine contenu, j’acceptais son invitation pour le soir même, abrégeais la conversation d’un au revoir hoquetant, avant de me laissais corrompre par la jouissance dévastatrice et salutaire.
Sa nuque me fascinais, je m’en approchai à pas feutrés, avec la volonté profonde de le surprendre en pleine inspiration musicale. Inutile de tenter de piéger un musicien, il est sensible au moindre son, ou pire à la moindre altération de son monde acoustique.
Je perdis sa nuque à l’instant où il se retourna .Son regard nous accueillit, ma bouteille de vin et moi .J’en frémissais, j’en jubilais sans grande démonstration et pourtant j’étais déjà tendrement dans ses bras, physiquement dans ses draps, voluptueusement prisonnière de son bassin !
« Bonsoir Simon, j’ai pensé que nous pourrions partager un bon verre de vin !
-Bonsoir Miss Do, je ne suis pas très vin, en tant qu’australien, je suis très bière !
-Parfait, mon vin est comme vous d’Australie, Shiraz Cabernet 98 »
Il n’osait pas refuser mon invitation et sortait deux grands verres à dégustation !
Le vin de toute évidence ne lui était pas inconnu !
Il ouvrit la bouteille, nous servit, puis s’avança vers moi !
« Pourquoi avoir apporté du vin ? me demandait-il
-Je pensais que vous étiez Argentin ! »
En vérité ma réponse était très conne ! Il trempait à peine ses lèvres dans le verre, avant de me répondre avec effronterie !
« Je n'aime pas le vin, je suis Australien ! La prochaine fois apportez des bières »
Il avait pour lui le mérite de la spontanéité à laquelle je répondais par la mienne.
Je lui ôtais son verre de la main et lui faisais gouter à la saveur de mes lèvres et de ma langue bien françaises, elles, dans un baiser sans équivoque de contrefaçon !
A SUIVRE
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