ACTE III
Est-ce La magie de cette bien étrange rencontre qui m’avait poussée, toujours portée par ce gout quasi pervers pour la clandestinité, à ne pas dévoiler, pas encore en tout cas, mon prénom. Lever le voile trop rapidement n’est pas le choix le plus judicieux lors d’un rendez-vous non programmé. La part du mystère en est écornée, l’imaginaire est épargné.
A ce stade de la rencontre, il pouvait selon ses envies, ses penchants me prêter le prénom de son choix à consonance ibérique, ou slave, très en vogue , ou bien encore dans la plus pure tradition du puritanisme chrétien, un prénom de baptême plus catholique, Marie, ou bien encore Mathilde. Le romanesque de la situation lui offrait plusieurs possibilités, mais sûrement pas de deviner que Dominique était mon vrai prénom.
Pas vraiment sensuel Dominique, pour une femme, si ce n’est dans l’ambigüité des genres. Tout le monde sait combien les hommes portent haut comme un drapeau le fantasme suprême d’une compagne, une amante ou même une amie bisexuelle. Je ne pensais pas à cet instant que Gaspard déroge à la règle. Incontestablement un homme capable de vous inviter dans sa bibliothèque privée dont la littérature érotique tient une place prépondérante n’a d’un ange que le coté démon. Je repoussais donc à plus tard la révélation de mon ambivalent petit nom.
La femme à l’éventail, comme une parabole ouvrait de larges horizons, tant emblématiques, culturels que géographiques. Ce cher Gaspard pouvait tout à tour m’imaginer en Geisha, vouée au plaisir de son maitre ou bien encore en féline latine gourmande de plaisir.
Je m’imaginais le temps d’un instant en hôtesse japonaise, le pas léger, silencieuse, les yeux baissés derrière un éventail en papier de soie, les lèvres rouges, corps frissonnant, offrir des désirs sans promesse dans une gracieuse danse envoutante. Le bruissement du kimono, les notes raffinées s’échappant d’entre les cordes effleurées d’un shamisen s’imposaient à moi dans le silence d’une bibliothèque que j’imaginais décorée d’une sensibilité artistique particulière. Perdue dans ma fascination, je sursautais lorsque Gaspard me ramenait brutalement à la dure réalité de la vie ordinaire en m’arrachant de justesse à la vélocité excessive d’un livreur en moto.
« Hey, Princesse, où donc vous étiez-vous égarée, une fraction de seconde et je n’aurais jamais eu accès à votre répertoire littéraire
-Et moi à votre bibliothèque !
-Quel genre d’écriture, affectionnez-vous plus particulièrement ?
-N’en avez-vous pas une petite idée ?
-Ni une petite, ni une grande !
-Vraiment ?
-Vraiment !
-Alors disons que nous avons un point commun !
-Le gout du mystère !
-Alors deux points communs ! J’écris l’érotisme, la sensualité, les jeux de l’amour, la saveur du plaisir !
-Alors je suis homme comblé d’une telle rencontre ! M’autoriserez-vous à vous lire à voix haute, votre regard dans le mien, m’autoriserez-vous à vous transmettre mes émotions dans le ton de ma voix, m’autoriserez-vous …
-Comment pourrais-je vous refuser, vous m’avez sauvée d’un accident certain, mais vous vous exposez vous-même à un grand danger. Je ne sais quelle réaction je peux avoir, votre voix est si …
-Si ?
-Voluptueuse.
-Parfait, j’aime le danger et celui là, je l’avoue est des plus attirants, je dirais même excitant, comme tous les dangers du reste ! Seriez-vous incontrôlable Miss Eventail ?
-Je vous retourne la question ! »
En guise de réponse, il m’entrainait sa main sur ma taille vers la première bouche de métro, manifestation évidente d’une soudaine impatience érotico- sensorielle !
Son cas ne s’améliorait pas vraiment lorsque nous pénétrions dans la rame bondée. La proximité, pour ne pas dire l’encastrement de nos corps, le révélait dans sa plus pure virilité. Qui de mes fragrances naturelles ou de la senteur de mon parfum agissaient sur lui comme de véritables phéromones, Gaspard sous son parfait costume de gentleman, bandait sans aucune retenue, à la hauteur de ma cambrure. Sa main gauche enserrant ma taille, la droite, ma main sur la barre de métro, sa tête négligemment posée sur mon épaule, sa bouche à portée de mon oreille, il me murmurait sensuellement « désolé »
J’en frissonnais en songeant au temps que nous allions partager ainsi à faire semblant de camoufler notre naturelle attirance. Tournant mon profil vers lui, je ressentais cette fièvre particulière que m’inspire le spectacle d’un couple de danseurs de tango lorsque les visages se frôlent, que les lèvres s’affolent. J’entrevoyais la scène sous la chaleur de son souffle dans ma nuque. Il respirait l’émotion dans une expression intérieure, comme si une passion intense nous unissait, nos corps en adhérence, nos peaux exaltées de désirs. Dans les codes de nos silences, il décelait le rouge carmin de mon éros. Je fermais les yeux, puis souriais, nous nous étions compris.
Notre voyage dans les transports communs prenait soudain l’allure d’une parade amoureuse dans l’indifférence générale des franciliens
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