Profondément troublée, par cet étranger regard adjacent, je me sens soudain dans une impasse charnelle, prise à mon propre piège, ce trop d’audace déplacée dans un lieu aussi public qu'’un restaurant bondé. Alessandro n’y est pas innocent , diabolique ce garçon, trop beau avec cette tendance aux libertinage qui en ferait presque un amant parfait. Presque, parce que pour avoir voulu découvrir les limites de mes désirs, il vient de ranimer en moi ma garcitude érotique. Il lui manque cette maturité, cette expérience qui fait qu'’un amant vous amène malgré vous dans les déviances qu'’il a choisi à votre insu.
Alessandro, me regarde bêtement avant de jeter un regard meurtrier vers mon inhibitif voisin de table.
Une trêve s’impose dans ce jeu assassin et, pour une fois, coïncidence des instants, ou incidence ingénieuse du hasard, une farandole de ravioles de langoustines atterrit devant moi comme par miracle, orgueilleusement annoncée
« Pour Madame, Ravioles de langoustines à l’essence de carcasse au vin rouge et orange et ses langoustines poêlées… » Je ne peux retenir un éclat de rire, mal accueilli par le serveur qui enchaine avec une condescendance affichée
« Pour Monsieur, Escalopes de foie gras grillées sur tanches de poires fondantes et myrtilles au jus accompagnées d’une sauce au miel de lavande »
La cuisine a ses secrets. Notre gourmandise jusqu’à là très lubrique est soudain détournée, par les plats raffinés dont la présentation ne fait qu'’en augmenter l’appétence. La vie est une friandise quand on sait la déguster, je n’en aime que les péchés, je dois dire que ce soir je suis comblée. J’en ai déjà trois à mon effectif, mais envie et gourmandise ne mènent-elles pas tout droit à la luxure.
J’en ai oublié le couple infernal assis en face de moi. Je plonge mon regard dans ce lui d’Alessandro, dont le plaisir gustatif se reflète jusqu’en dans ses grands yeux noirs. A cet instant là, je le désire de tout mon être, de tout mon corps, tant il est beau dans la limpidité de sa nature humaine. Il prend du plaisir à chacune de ses bouchées et cela se voit ! J’aime l’homme et non plus l’amant !
Le temps suspend son vol, j’ai plaisir à le regarder déguster, et par association d’idée, concupiscence quand tu nous tiens, je l’imagine me savourer comme une chatterie, avec autant de délicatesse, mes yeux au fond des siens.
« Vous n’aimez pas ?
-Oh si beaucoup !
-Mais vous n’avez pas gouté à votre plat !
-Ah oui ! Pardon ! Je songeais à…
-Puis-je goûter ?
-Oui bien sûr ! Entrouvrez vos lèvres ! »
Un jeu de fourchette sensualisé glisse entre ses lèvres effrontément pulpeuses une raviole de sauce enrobée, laissant au passage une trace de sauce irisée et aguicheuse sur sa bouche avide de goûter. Je ne peux m’empêcher, bravant mon éducation et mon aversion pour le finger food, de m’emparer d’une langoustine de mes doigts et de lui glisser dans la bouche. Il l’enrobe de sa langue jusqu’à mon doigt qu'’il aspire avec émoi et la sensualité d’une bouche affamée de baisers. Effet instantané…je sens mes joues s’empourprer, mon ventre s’embraser, mon sexe s’émerveiller de la douce chaleur érotique qui vient de me rattraper.
« Hum, délicieux », me dit-il comme un enfant gourmand en se frottant le ventre d’une main tourbillonnante. Il m’émerveille de spontanéité !
Je pose enfin mon attention sur le plat qui lui fait autant d’effet et dont l’influence érotique n’est pas sans intérêt au vu du regard applaudisseur que nous porte l’énamourée Sapho. A chacun sa gourmandise ma belle, mais l’heure n’est pas aux déviances érotiques, pas pour le moment, pas encore, il me semble lui dire en suçant mon index de sauce maculé. Il est des codes érogènes qui frappent le subconscient, et l’inconscience qui est la mienne, ou bien mon net penchant pour la provocation risque de m’accompagner bien plus loin que de simples fantasmes. La belle amoureuse me renvoie un sourire félin de prédatrice patentée. J’y lis de la patience ou bien encore « tu ne perds rien pour attendre », acquiesce ma traduction en levant à son intention un nouveau verre de champagne .Je suis enivrée, mes papilles subjuguées par la divine saveur de la combinaison du succulent du plat et du vin champenois et du trouble évident que produit mon ivresse sur la saphique diablesse. Succube revisitée, version des temps modernes démoniaque prêtresse d’un érotisme pervers, ma coupe entrouvre ses cuisses sur un sexe dépourvu de toutes dentelles futiles, une invite secrète à plus de charnelle corruption.
C’est décidé, si elle quitte la table je la suis …Il est temps d’agir pour plus de volupté. Improviser une remise en beauté, du rouge sur les lèvres, consolider mes intuitions dans l’espace réduit des toilettes féminines. Garcitude séductrice ou totale pulsion ? Je ne sais plus à quel sein me vouer, au poitrail si viril de mon nouvel amant, ou au galbe séduisant d’une poitrine féminine !
Question d’équité, je me veux impartiale, combler les deux à la hauteur de leurs espérances, tout en songeant que c’est bien dans les bras d’Alessandro que je veux passer le reste de la nuit.
Se faire désirer au-delà des limites pour dans des bras complice s’adonner au suprême, un plaisir décuplé par des interdits accomplis en totale impunité
Qu'’importe le flacon, pourvu qu'’on ait l’ivresse, me dis-je en avalant cul sec ma énième flute de bulles alcoolisées. Bon Dieu Alessandro, qu'’as-tu fait de moi en seulement quelques heures ! Mais sauras –tu honorer le rôle que je te destine ?
A suivre...
Commentaires