Je suis en train d’écrire lorsqu’il arrive. Plus tôt dans la journée, je m’étais installée à l’ombre du parasol sur la terrasse, mes écrits embaumés du parfum du figuier et musicalisés par la stridulation des cigales dissimulées dans les pins environnants. Cette ambiance méridionale est soudain troublée par un appel insistant d’une voix masculine inconnue, derrière mon portail. Juste vêtue de rien, une capeline de paille aux couleurs verdoyantes, un bikini à pois, à peine camouflé d’un paréo coordonné, j’abandonne les touches noires de mon clavier, m’inquiétant dans l’urgence de l’appartenance de ce timbre de voix que je ne reconnais pas. Une silhouette virile et si jeune à la fois, attend sagement que quelqu’un lui réponde !
« Bonjour Madame, je suis le piscinier !
-Je ne vous attendais pas si tôt ! Et puis c’est Lorenzo qui vient habituellement !
-Je suis désolé ! Lorenzo est débordé par ces temps caniculaires, les eaux n’en font qu'’à leur tête !
-Ne le soyez pas, peut-être allez vous faire des miracles ! Suivez moi, c’est par ici que ça se passe ! »
Docilement, professionnellement, il emboite mon pas vers le bassin dont la couleur verdâtre inhabituelle n’a rien d’engageant.
« Voici l’objet du litige
-Effectivement, il y a urgence ! Me réplique –t-il en jaugeant ma silhouette des pieds à la tête »
J’aime à songer qu'’il joue sur les mots et les situations
Il s’esquive rapidement, retourne vers son véhicule garé devant la maison, je retourne naturellement à mon clavier.
Lorenzo, charmant au demeurant, est un Italien, la soixantaine bedonnante, un rire gras au bord des lèvres sur des jeux de mots que lui seul amusent. Il en est attachant tant il a l’air convaincu de séduire par ses incursions relevant plus du pathétique que du comique, je l’aime beaucoup ! Mais il faut avouer que son remplaçant à de quoi se faire aimer différemment.
Derrière le paravent de mon chapeau, j’aperçois sa silhouette sensuellement éprouvante aller et venir à volonté alors que mes doigts pianotent de plus en plus fébrilement sur le clavier. J’en oublie le pauvre Marco, héros de ma dernière nouvelle érotique. L’homme, enfin le jeune homme d’entretien fait soudain ombrage au latino-romain et son riva conduit à pleine vitesse vers une destination érotique. L’intérimaire inespéré par cette caniculaire journée d’été offre des ailes à mes désirs qui ne demandent qu'’à se déployer. Etrangement vêtu pour le travail qu'’il accomplit ! Un pantalon de lin blanc, en la taille resserré d’un lien coulissant, en la base retourné à mi mollet, le tout rehaussé d’un polo rayé marin aux manches retroussées. Mon imaginaire va bon train…Je devine un corps structuré sous les rayures horizontales. A chacun de ses mouvements débarrassant l’eau de ses impuretés, je devine un buste élégamment musclé, des épaules larges et carrées mettant en exergue un V athlétique jusqu’à la taille. Une image me vient en tête, ces jeunes esthètes triés sur le volet, que j’ai pu croiser cet hiver chez Abercrombie à NYC, à qui vous achèteriez n’importe quoi dans le seul but de les effleurer .Il n’a rien à leur envier ! Dois je me débarrasser de mes lunettes, au risque de plus rien voir sur le clavier que de vagues pattes de mouche floues, pour mieux apprécier sa vigoureuse carrure. Je me fous de vieillir, mais j’avoue que ces foutues montures, sont là et bien là pour me rappeler que je n’ai plus 20 ans !
Me replonger dans mes écrits, oublier l’intervenant, faire fi de son érotisme puissant !
« A contre courant de mes convictions, nonobstant tous les interdits de la situation, comme l’étrave du bateau pourfendant la mer en écume surgissante, imprévisible, je laisse ma main courir sur le corps de Marco.
Etourdie par la vitesse du bateau, et surement aussi par les deux verres de champagne bus coup sur coup, mes doigts impérativement dirigés par les secrets lubriques de mon cervelet, se perdent très rapidement sous le caleçon de bain de Marco. Il a de plus en plus de mal à tenir le cap de sa destination que je désire érotique et sans contrefaçon, une destination idyllique au milieu de nulle part .Je suis comme dans un rêve, un roman que j’aimerais lire et dont je serais l’héroïne tendancieuse et libertine, protagoniste perverse et abusive d’un italien ravageur en perdition, victime d’une diabolique amante. »
Marco, mon héros du moment a gagné la partie !
Mes mots glissent naturellement, je me suis à nouveau imprégnée de mon histoire, poussant intérieurement un « ouf » de soulagement pour n’avoir pas succombé à mes lubriques émotions. Je ne lève plus les yeux de mon écran jusqu’à ce que poliment le jeune pseudo marin m’interpelle !
« Pardon Madame, puis-je retirer mon polo, j’avoue avoir très chaud
-Faites, faites, je ne suis pas une tortionnaire »
C’est lui le tyran ! Il retire son polo et me dévoile impunément sa jeunesse musculeuse, et comme si cela ne suffisait pas, il gratifie sa renversante silhouette d’un chapeau de paille effiloché. Il ne m’en faut pas plus, dans mon imaginaire débordant, pour endosser le rôle d’une coquine Lady bourgeoise en face à face avec son jardinier ou homme de compagnie, homme à tout faire, des besognes les plus éreintantes et manuelles aux plus érotiques et tactilement prohibées. Son polo rayé négligemment jeté sur le dossier du siège qui me fait face, me renvoie par bouffées ses fragrances musquées mal emprisonnées dans les mailles serrées du tissu de coton. Un mélange indicible âcre et suave à la fois éveille irraisonnablement, d’abord olfactivement, puis « épidermiquement » mes codes érogènes. Un bouclier de pudeur professionnelle lui ôte toute possibilité d’analyser l’effet produit. Il travaille avec application afin de redonner à l’eau de la piscine sa couleur azurée d’origine. Dans un duel sans précédent il me confronte à son mutisme que je combats en l’observant sournoisement. Sous son chapeau des perles roulent, qu'’il essuie de temps en temps, retirant son couvre chef, d’un grand revers de la main sur son large front autoritaire. Des boucles brunes, une toison, retiennent les larmes de son labeur, suées viriles. Lorsque la paille quitte sa tête, son large regard sombre cerné d’une ligne de longs cils noirs fournis et recourbés me fascine, tout autant que ses lèvres pulpeuses, dont j’imagine la perversion sous un baiser appuyé. Un nez viril légèrement épaté, pas de droiture ! Je reconnais cette physionomie faciale, elle est celle des latins, les latins d’Amérique du Sud, brésilien !
Voilà le fil de la rupture à ce long silence qu'’il m’impose comme une torture ou une punition !
« Excusez-moi jeune homme, enfin quel est votre prénom, puis je vous poser une question ?
-Bien sûr, Madame, mais vous venez de m’en poser deux, me rétorque-t-il en souriant
-Dominique !
-Non, je m’appelle Alessandro !
-Dominique c’est moi !
-Ah ok et l’autre question ?
-Bien je pensais que vous étiez d’origine brésilienne, mais vu votre prénom vous devez être italien !
-Bravo, je suis italo brésilien, brésilien par ma mère, italien par mon père !
-D’autres questions ?
-Voulez-vous boire quelque chose ! Il y un moment que je vous observe, vous dégoulinez
-J’avais remarqué, je ressens ces choses là ! Je ne suis pas indifférent à votre regard dérobé »
Il va me faire rougir ce petit effronté !
« Je veux bien un grand verre d’eau
-Reposez-vous un instant, je vous l’apporte, asseyez-vous !
-Qu'’écrivez-vous ?
-Vous pouvez lire si vous le désirez !
-Avec plaisir, une pause m’arrachera à mon boulot bassement matériel »
Je ne relève pas sa réplique et m’échappe en direction de le cuisine depuis laquelle je l’épie .Les femmes sont curieuses, je ne déroge pas à la règle. J’analyse la moindre de ses attitudes à la lecture de ma nouvelle, observe avec gourmandise son regard délateur de ses émotions.
« Voilà, lui dit-je en lui tendant le verre. Alors vous aimez ? Surpris ?
-Pas vraiment !
-Vous n’aimez pas !
-Si beaucoup, mais je ne suis pas surpris !
-Vraiment ?
-Comment dirais-je ? Votre écriture reflète ce que vous dégagez !
-Et je dégage quoi à vos yeux ?
-Je devine en vous une femme très charnelle !
-Vous me bluffez jeune homme ! Vous avez l’air si jeune pour une appréciation aussi pointue sur les fermes !
-Vous confirmez donc ! Je ne suis pas si jeune, je vais bientôt fêter mes 35 ans !
-Vous avez l’air si innocent !
-Ce n’est qu'’une apparence, ou une fausse pudeur. En vérité je suis acteur de théâtre, intermittent du spectacle, mais il faut bien manger quand les rôles ne se bousculent pas aux portillons
-Acteur ! Ce qui explique que vous jouez bien votre rôle de piscinier !
-Non, ce n’est pas un rôle ! Mais me donneriez-vous un rôle dans vos histoires ?
-Vous m’inspirez !
- Quel sens dois-je attribuer à votre inspiration Dominique, propre ou figuré ?
-Pas très propre, ni figurative
-Vous ne répondez pas à ma question !
-C’est les règles de mon jeu »
Il sourit de ma réplique, pose son verre sagement et retourne à son travail et moi au mien.
Nos regards échangés en silence, nos sourires bienveillants s’entrelaçant sporadiquement en disent bien plus longs que nos quelques phrases échangées.
35 ans ! Tous scrupules m’abandonnent et loin de me faire ombrage, mon prochain anniversaire se profilant à l’horizon, pimente diaboliquement ma décision soudaine de séduire Alessandro, endossant momentanément le rôle de Pygmalion !
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