Passés ses premiers émois, son âme d’enfant au bord de son regard larmoyant, elle avait avancé lentement dans la maison à peine éclairée par les lampadaires de la rue, dont la lumière s’était infiltrée dans l’entrée avant même que Marianne n’en ait franchi le seuil. Une angoisse soudaine l’avait habitée, purement dictée par le confort matérialiste de la vie moderne.
Elle avait relevé à tâtons la manette du compteur, une lumière blafarde l’avait accueillie. Sa crainte s’était envolée instinctivement, l’électricité n’était pas coupée. Survolant d’un regard panoramique le grand salon, elle constatait que rien n’avait changé dans la vieille demeure .Le temps s’était arrêté le jour où sa grand-mère avait disparu. Au pied de la cheminée quelques bûches attendaient désespérément de partir en fumée. Il faisait un froid glacial et humide dans l’habitation fermée depuis trop longtemps, une flambée ne pouvait que lui réchauffer l’âme. Elle ne voyait guère d’autres moyens pour l’instant pour redonner un semblant de vie à la vieille bâtisse abandonnée. Elle disposait les buches dans l’âtre, craquait une allumette et éclairait soudain le foyer de ces lueurs si particulièrement douces d’un feu de cheminée. Puis d’instinct, elle se dirigeait vers la grande armoire, véritable caverne d’Ali Baba, à la recherche de quelques bougies. Elle avait le souvenir exact de la boite à chandelles, comme aimait à l’appeler Manou, ainsi que de son emplacement dans le joyeux bric –à- brac régnant dans le meuble. Elle avait au moins hérité cela de son aïeule, cette façon bordélique de ranger.
Disséminant çà et là quelques chandeliers à quatre branches, elle instaurait une nouvelle ambiance, qu’elle argumentait de façon mélodieuse en tournant le bouton de la désuète, mais pour autant efficacement sonore de la chaine hifi. Des sons jazzy s’en échappaient rappelant à Marianne l’image de sa grand-mère assise dans son vieux fauteuil Louis XV, à l’heure de l’apéritif , un verre de Muscat dans une main, une cigarette entre les doigts de l’autre , et le pied cadençant la musique avec la régularité d’un métronome.
Elle avait abandonné un instant Ella Fitzgerald donnant la réplique à Luis Armstrong pour récupérer ses bagages dans le coffre de la voiture.
Chargée, trop comme d’habitude, les deux bras occupés à porter ses bagages, elle avait refermé la porte d’un grand coup de pied en arrière, lui renvoyant l’écho de la douce voix de sa grand-mère « Marianne, la pooooorte ! »
Elle s’était félicitée intérieurement de la résurrection de la maison. Restait à présent à songer à sa propre renaissance. Après une bonne douche, rien n’y paraitrait plus de sa fatigue. Pour la première fois elle ne regrettait pas que la vieille dame n’ait jamais voulu moderniser son lieu de vie. Le chauffe eau allait lui fournir en un rien de temps une eau à température, peut être même songeait-elle, pourrais-je tenter un bain. Empruntant le grand escalier montant à l’étage, elle avait intégré la très spacieuse salle de bain, dont la baignoire à sabot lui rappelait ses bains d’antan. Elle surchauffait rapidement la pièce à l’aide d’un radiateur électrique mobile et se faisait couler un bain qu’elle parfumait de sels odorants.
Dans le reflet du miroir, elle recherchait l’enfant qui hantait l’espace, mais elle ne voyait que la femme dont les courbes s’étaient arrondies et les traits assagis au fil du temps. Sa jeunesse avait foutu le camp pour laisser place à une séduisante quarantenaire jouisseuse de la vie et de tous ses plaisirs, si seule soit-elle. La solitude ne la gênait guère, mieux elle s’en été faite sa compagne, lui autorisant toutes les libertés, et sa liberté aujourd’hui c’était d’être là, là où on ne l’attendait pas, pas même elle.
Elle se glissait dans le bain brulant, de la pointe de ses pieds jusqu’à la racine de ses cheveux, frottait onctueusement son corps de mousse, frôlait ses seins, caressait ses jambes, en tentant d’éviter ses zones érogènes dont elle savait qu’elles ne résistaient que rarement à ses effleurements. Avec la solitude comme seul compagnon, il valait mieux éviter tout débordement érotique pour ne pas connaitre la frustration. Elle trainait longuement dans l’eau, les yeux fermés tentant d’échapper à toutes les ombres fantasmagoriques qui se promenaient inlassablement dans la maison. S’extirpant à contre cœur de son bain de jouvence, elle s’enveloppait rapidement d’une grande serviette, à l’identique ses cheveux raccourcis depuis peu de temps. Marianne la désordonnée avait oublié sa valise au rez-de chaussée.
« Shit » jetait-elle en dévalant le grand escalier.
Une douce chaleur l’accueillait à présent, elle jetait quelques coussins sur le tapis et s’allongeait un instant devant les flammèches rougeoyantes de l’âtre dont les buches en brasier avaient rapidement joué leur rôle calorifère. Bonheur, pur moment de bonheur…
Trois coups fermement frappés par le heurtoir en bronze sur la porte d'entrée l’avaient arrachée subitement à sa béatitude.
Se levant promptement, elle se précipitait pour ouvrir, oubliant sa tenue pour le moins déshabillée, et se retrouvait nez à nez avec un homme, devrais –je dire, un homme très séduisant.
« Bonjour, vous êtes qui, interrogeait-il effrontément
-Pardon, et vous, qui êtes-vous ?
-J’habite en face, j’ai vu de la lumière s’échapper entre les volets fermés, j’ai songé à des cambrioleurs. Il y a eu plusieurs cambriolages ces temps-ci dans le coin
-Et qui me dit que vous n’êtes pas un de ces cambrioleurs, ou pire un violeur…
-Un violeur ! Mon dieu non, même si je l’avoue vous êtes séduisante ! Surtout dans cette tenue ! Ou alors un viol consenti !
-Oh Mon Dieu, je suis vraiment désolée !
-Ne le soyez pas, c’est ravissant ! Moi qui croyais me retrouver face à face avec des mines patibulaires, voilà que je suis en pourparler avec une femme nue sous sa serviette.
-Bon, bon, entrez, ne restez pas sur le trottoir, je n’aime pas en plus me donner en spectacle ! Je suis la petite fille de la propriétaire ! Marianne
- Enchanté Marianne, je m’appelle Baptiste. Mais je ne veux pas vous importuner !
-Nullement, entrez ! Je suis désolée je ne peux même pas vous offrir à boire, je viens juste d’arriver, et à vrai dire, il n’était prévu du tout que je passe par ici. A ce propos, y-a-t-il une épicerie dans le coin ou mieux un petit resto
- Nous ne sommes pas vraiment au fin fond de l’Afrique, bien sur on doit trouver cela…
-Je suis désolée…mais vous n’avez pas l’air convaincu »
Elle avait retiré l’éponge de ses cheveux, s’était ébrouée comme un chien, libérant les boucles de sa chevelure rousse, puis s’était excusé un instant en se dirigeant vers la porte à double battant de la chambre.
Un cri avait fait sursauter Baptiste….
« C’est quoi ce bordel, Baptiste venez voir
-Que se passe-t-il ?
-Regardez vous-même !
Dans la grande pièce, la plupart des meubles dont le grand miroir doré trônant en principe au dessus de la cheminée étaient consciencieusement emballés prêts à « l’exportation ».
« Vous voyez, je ne vous ai pas menti, les cambrioleurs ont préparé leur affaire
-Mais par où sont-ils passés ? »
Baptiste avait écarté ses mains en forme d’incompréhension ….puis avait suivi Marianne toujours d’une serviette vêtue, dans un dédalle de couloirs.
« Les dépendances, j’en étais sûre, regardez, ils ont fait sauter le verrou
-Vous ne pouvez pas rester seule ici !
-Bien sûr que si…vous êtes attendu ?
-Non !
-Bien vous allez m’aider à réparer cela, ainsi je ne serai pas seule !
-Pourquoi pas ?
-Puis je vous invite à dîner, ça marche ?
-Ca marche ! Mais êtes-vous toujours aussi autoritaire ?
-Toujours…avait-elle répondu sur un ton aux sous entendus suspicieux
De retour dans le salon, elle laissait choir sa serviette sans aucune pudeur, enfilait à la va vite un pull de laine à même la peau, un microscopique boxer de dentelle et un 501, sous le regard médusé et séduit du visiteur.
« Vous voulez que j’ai une attaque ?
-Nous appellerons un médecin !
-Je suis médecin !
-Bien alors, vous avez du voir pas mal de femmes à poil dans votre vie, une de plus n’y changera rien !
-Disons que …
-Allons-y ! »
Cette femme a du chien et du caractère avait-il songé et en se félicitant d’avoir annulé une soirée chez des amis.
De manière différente Marianne se réjouissait aussi d’avoir modifié ses projets. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait croisé un homme aussi charmant et en fervente amatrice des imprévus, elle n’y voyait pas là, une simple coïncidence, mais bien un signe du destin. Ou bien essayait-elle de s’en persuader pour se rallier aux conseils de sa chère mamie, « on ne lutte pas contre le destin », et le destin en l’occurrence avait une belle gueule d’amour et le corps coordonné.
A quoi bon résister !
Le début de cette histoire m'avait ému, je me souviens.
Cette suite est écrite, plus légère, mais avec bonheur.
Quel plaisir de la lire en écoutant Ella Fitzgerald.
On se trouve plongé par la qualité du texte, les douces images qu'il évoque et l'élégance de la musique, dans un monde légèrement suranné, mais si doux.
Ah ! Un visiteur !
Oh ? Il est séduisant ! (sourire)
Tiens il se laisse faire, (...et bientôt séduire ?)
La tension érotique est bien là, entre eux-deux.
Mais rien ne les a physiquement rapprochés jusqu'à présent.
Comment cela va t'il se résoudre ?
(on a envie de lire la suite...)
Bises tendres
L
ps :
quelle coquine tout de même, de s'habiller sous ses yeux (ou dois-je dire quelle maligne ?)
Rédigé par : Libertin_123 | 12 janvier 2010 à 18:17
A L:Ton commentaire traduit l'émotion d'un homme séduit par une coquine encore empreinte d'une âme d'enfant....L'érotisme plane comme une ombre,un érotisme latent qui réclame juste une étincelle.
Cette Marianne est très cabotine, elle me rappelle quelqu'un que j'ai bien connu...cabotine mais sensuelle et émotive .... Voici la suite...
Baisers
Rédigé par : Mystérieuse | 13 janvier 2010 à 14:04