Découvrez Jean-louis Bindi!
Les effluves du macadam les avaient accompagnés sous les cliquetis des talons aiguilles de Mathilde.
Malgré la saison printanière, le tout nouveau couple n’avaient croisé que peu de passants, à cette heure où les gens sont plus enclins à rentrer chez eux que de flâner le nez en l’air.
Les frissons de Mathilde avaient effleuré Benjamin, qui, conscient de sa frilosité l’avait resserrée dans ses bras, à la recherche d’un contact plus fébrile que le simple rapprochement de deux individus en goguette.
Ce corps à corps plus tactile les avait naturellement conduits à édulcorer leur complicité naturelle d’un doux baiser sucré, prolongé d’un mélange subtil de leurs langues enroulées, unissant leur haleine dans un instant éternisé de concupiscence.
C’est ainsi mélangés, du moins dans leur esprit, qu’ils avaient sonné à la porte cochère.
« Oui...
-C’est Mathilde
-Je t’ouvre. »
La gâche du lourd portail avait cédé, interrompant leur long baiser mouillé.
« Nous continuerons plus tard veux tu ?
-Et si je dis non ?
-Tu es la sagesse même
-J’ai pas vraiment le choix avec toi, tu a un caractère de ...
-Oublie ...de cochonne ! »
Cette réplique abusive l’avait fait éclater de rire comme un enfant
« Tu vois c’est ce mélange savant que j’aime chez toi, mi- homme, mi- enfant, tu me fais rire et m’émeut, je vais finir par tomber amoureuse et je le redoute, quoique, il faut que tu le saches, je sois très amoureuse d’un homme »
Au premier étage une porte s’était ouverte sur le palier interrompant leur discussion, en quelque sorte un soulagement pour les deux protagonistes peu enclins au romantisme en cette soirée particulière, leur première hors du cadre de leurs étreintes sulfureuses.
« Ma chérie comment vas-tu ? »
Mathilde n’avait pas menti, leur hôte était une très belle femme, des traits fins argumentés d’une bouche pulpeuse aux lèvres presque exagérément ourlées et deux grands yeux noirs en amande. Cependant elle demeurait une belle brune qui avait cru que la blondeur artificielle de sa longue chevelure peaufinerait sa séduction.
Aux yeux de Benjamin, l’erreur s’avérait fatale, elle n’était pas du tout à son goût, d’ailleurs il n’avait que peu d’attrait pour les blondes qu’il trouvait insipides face au piquant des brunes ou des rousses. Mais il n’en avait rien laissé paraître.
« Isa je te présente Benjamin, j’ai pensé que tu ne m’en voudrais pas qu’il m’accompagne
-Mais pas le moins du monde, tu me connais, quand je mets en cuisine, on pourrait nourrir tout l’immeuble »
Elle avait tendu une main amicale à Benjamin, mais lui le plus naturellement du monde l’avait embrassée, question de génération sûrement.
Dans l’embrasure de la porte était apparue, la silhouette impressionnante d’un homme d’au moins un mètre quatre vingt dix.
« Mais que faites-vous sur le palier, entrez voyons »
Mathilde avait devancé Benjamin et tout deux étaient entrés dans le vaste hall de l’appartement bourgeois.
« Mathilde, depuis le temps, tu es toujours aussi radieuse et même un petit je ne sais quoi en plus qui fait que tu es hum, disons très attirante
-Merci Jacques, avait-elle répondu en lui déposant un léger baiser sur la joue, mais oublions là l’attirance, veux –tu.
-Oh, il y a de la rebelle dans l’air
-Jacques s’il te plait Chéri ne commence pas à embêter Mathilde, où elle va à nouveau disparaître pour trois ans...
-Et donc, Mathilde, qui est ce charmant jeune homme ?
-Benjamin ...
-Mais encore ?
-Benjamin, mon meilleur élève »
Benjamin avait momentanément oublié la vexation d’être relégué au simple statut de meilleur élève et avait tendu une main amicale à Jacques
« Bonsoir Monsieur ...
-Jacques, appelle moi Jacques, bien venu parmi nous mon garçon, la jeunesse est toujours bien accueilli ici, elle nous fait défaut »
Mathilde avait jeté un lourd regard réprobateur à Jacques dont la signification concrète avait échappé à Benjamin.
Isa les avait accompagnés jusque dans le salon dont le baroque de la décoration donnait une note libertine au luxe de l’appartement. En un seul instant on était transporté dans l’ambiance feutré des salons d’antan. Un mélange hétéroclite de candélabres argentés et autres tentures empourprées donnaient la réplique pèle- mêle à une bergère empire en velours , une console harpe de laque noire ou bien encore une méridienne noire rehaussée de coussins aux couleurs vives .Une atmosphère bien étrange s’en dégageait entre libertinage et mondanité.
Jusqu’au fond musical ,du Händel, qui argumentait à merveille ce tendancieux climat, musique et chants baroques au programme.
On aurait pu se croire dans un film de Stanley Kubrick, Barry Lindon dont Benjamin avait de vagues souvenirs ou encore Eyes Wide Shut dont il gardait un mémorable souvenir riche en sensualité.
La seule note contemporaine résidait dans la lumière artificielle quoiqu’étayée par quelques chandeliers disséminés ici et là et notamment deux sur la table somptueusement dressée pour le repas.
Benjamin avait fait une analyse rapide de la situation trouvant que les acteurs présents, dont lui, étaient en total décalage avec le décor presque théâtral .Il avait imaginé un instant trousser Mathilde dans les couloirs, en belle Marquise costumée, entravée d’un corset et de crinolines superposées, les seins prêts à s’échapper d’un riche tissus moiré, Mathilde poudrée , une mouche sur la pommette, en libertine patentée.
Sur cette note imaginaire, il s’était égaré songeant que cette femme devait renfermer bien des secrets inavoués pour ainsi le faire fantasmer.
Le fait que son cœur appartienne à un autre que lui ne changerait rien à ses projets de marivaudage dévergondé
Mais pour l’instant c’est Tara King qui le menait vers des fantasmes qu’il désirait concrétiser bien avant la lever du jour.
La soirée ne faisait que commencer et l’air ambiant par trop propice à la débauche érotique n’avait fait qu’accentuer cette attirance épidermique qu’il ressentait pour la belle intrigante violoncelliste.
Son égarement provisoire lui avait fait occulter la présence presque dérobée d’un autre convive, un homme d’une cinquantaine années dont les pouvoirs séducteurs auraient fait blêmir le pire des Don Juan .Devant lui se tenait, sourire aux lèvres, lui tendant une main amicale, le sosie trait pour trait de Georges Clooney, le préféré de ces dames toutes générations confondues si l’on en croyait les magazines féminins.
Cette présence illicite l’avait glacé, compte tenu du regard peu anodin que « Georges » avait lancé à Mathilde, l’enrobant visuellement d’une seule traite, un inventaire détaillé de la féminité qui était la sienne.
« Enchanté jeune homme, Angelio »
Il n’avait rien d’un ange et son accent aux résonances italiennes rendait sa présence encore plus démoniaque qu’il n’y fallait.
« Madame, avait-il dit en s’adressant à Mathilde, vous êtes bien plus séduisante qu’on ne me l’avait annoncé
-Mathilde, enchantée »
Elle était sous le charme c’était une évidence, alors même qu’il ne lui avait dit que trois mots...
L’endroit avait soudain perdu tout son charme pour faire place à la dualité masculine.
Tout ce petit monde s’était confortablement installé sur les canapés avant que de trinquer au retour de Mathilde depuis trop longtemps installée dans la solitude.
C’était les propres mots d’Isa lorsqu’elle fait entrechoquer sa coupe de champagne contre celle de Mathilde.
Benjamin, afin de s’affirmer avait choisi un « A nous », bien plus anodin mais très explicite au regard de Mathilde qui ne l’avait pas quitté des yeux le temps de porter le toast.
Ce détail n’avait pas échappé à Isa qui en avait logiquement déduit la nature de leur relation.
La « garcitude » féminine l’avait conduite, comme une obligation ,à argumenter son intuition, provocation inutile, afin de compromettre son hôte.
« Alors dis- moi Mathilde, toujours seule
-Oui, la solitude est la seule compagne qui ne me trahira jamais, je vis dans l’ostracisme sentimental »
La spontanéité de sa réplique avait coupé court à toute opportunité de divergences d’opinions, sous le regard désabusé de Benjamin qui avait acte d’allégeance à Mathilde devant autant d’insolence mensongère, si ce n’était le tombeur italien qui avait saisi cela comme une opportunité
« Mama mia, un cuore per prendere »
« Connard » avait songé Benjamin en avalant cul sec son verre de champagne...
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