Nocturne in C# minor - Frederic Chopin
Un violent orage avait accueilli Charles lorsqu' il avait amorcé la portion de chemin de terre qui menait à la maison.
Observateur de nature, il avait pourtant eu le temps d’apercevoir sur la boite aux lettres, un morceau de papier détrempé sur lequel on devinait encore, marqué à l’encre noire « maison à louer ».
Son sang n’avait fait qu’un tour .Plus tôt dans la matinée, toujours à la recherche d’un logement depuis qu’il avait quitté, bien malgré lui, sa femme, il était tombé malencontreusement sur un encart dans la rubrique des petites annonces du quotidien local.
« A louer, urgent, agréable maison en position dominante, 4 pièces, 2 salles de bain, piscine, grande terrasse couverte, téléphone 06 ..... »
Il avait immédiatement reconnu le numéro d’appel de Marie, son épouse .Il ne pouvait s’agir que d’une erreur, mais quelque peu désorienté, avait décidé, dans l’instant, de s’en assurer de visu et de rendre, en fin de journée, une visite inopinée à celle qui avait été sa compagne pendant de longues années.
Il n’était pas rare, de manière ponctuelle, depuis sa séparation, qu’il passe boire un verre afin de récolter quelques échos de sa nouvelle vie solitaire.
Elle l’accueillait toujours complaisante, improvisait un dîner informel, sans jamais trahir aucun de ses ressentiments.
Elle avait pourtant tellement changé, sa jovialité légendaire avait fait place, peu à peu, à une tristesse, elle s’était refermée sur elle-même jusqu’à la transparence de sa personnalité.
Mais elle n’en avait pourtant perdu son charme racé, seul son regard vert malicieux avait revêtu une noirceur ébène, bouleversant, presque pitoyable.
Elle était toujours aussi attirante, mais cette tristesse, au bord de ses yeux imprimée, lui donnait une nouvelle dimension sensuelle, une fragilité féminine qui le faisait chavirer.
Toujours amoureux, malgré sa désertion, il espérait, à chacune de ses visites, qu’elle révise ses décisions trop impulsives quant à leur éventuel divorce.
Ainsi c’était bien réel, elle avait mis leur lieu de résidence en location, et cette seule pensée avait éveillé en lui désillusion et exaltation.
Jugulant une colère latente, il avait arraché, sous la pluie battante, l’annonce griffonnée, l’avait jetée en boule, puis, détrempé, avait réintégré son véhicule et rejoint le plus rapidement possible la maison.
Sur le portail de la propriété, la même annonce l’avait accueilli, il en avait perdu son sang froid, l’espace d’un instant, et oubliant toute civilité, était entré dans la maison d’un pas affirmé.
Frédéric Chopin et des bougies aux fragrances de santal avaient apaisé ses pulsions colériques, et plus discrètement il s’était promené de pièce en pièce à la recherche de son épouse. Il reconnaissait là la touche mystique de Marie et son goût immodéré pour le compositeur.
Attiré par la lumière artificielle de la salle de bain, il s’était tapi derrière la porte, à l’affût d’une présence humaine.
Elle était là, dans son bain, troublante de féminité, dans une eau mousseuse et parfumée, dévoilant ici ou là ces courbes si sensuelles dont il avait depuis trop longtemps été privé.
Ses souvenirs avaient ressurgi en lui comme la douloureuse émergence d’un grand gâchis.
Que ne s’était-elle amourachée de cet homme, un mystérieux inconnu croisé au hasard d’une virtuelle rencontre, et qui, insidieusement avait pris possession de son esprit, au point que à peine quelques mois plus tard, elle en était tombée éperdument amoureuse.
Elle avait subitement changé, moins douce, moins complaisante à son égard, à un point tel qu’il avait décelé, sans jamais vraiment se l’avouer, une autre présence masculine dans sa vie.
A chacun de ses questionnements, elle répondait par la négative, n’avait jamais avoué, par lâcheté ou par pitié, une quelconque aventure extraconjugale.
Pourtant la nouvelle silhouette par trop érotisé dont elle l’éclaboussait à chacun de ses pas, dans chacune de ses attitudes même les plus anodines, avait résonné en lui comme la confirmation de ses douloureuses suspicions.
Elle était soudainement plus mystérieuse, plus envoûtante, plus séduisante, son entourage le plus proche l’en avait même félicitée. Elle aimait la femme qu’elle était devenue au contact du bel inconnu, car inconnu bel et bien il était.
Un soir las d’être tombé en disgrâce aux yeux de la femme qu’il aimait plus que de raison, Charles avait tenté d’amorcer l’ébauche d’une discussion qui avait rapidement dégénéré en scène de ménage.
Les mots s’étaient faits violents, les paroles ordinaires, irrationnelles, jusqu’à ce qu’elle lui avoue, amour et haine dans le regard, qu’elle aimait un autre homme, qu’elle l’aimait de passion de déraison.
Cet aveu l’avait meurtri, un coup de couteau en plein cœur, une indescriptible blessure l’avait étreint comme une déchirure.
« Qui est-il ? Où l’as-tu rencontré ?
-Je ne sais pas ...
-Tu ne sais pas, arrête de te foutre de moi, ne me prends pas pour un con
-Je t’assure, à quoi bon te mentir, maintenant ...
-Il baise mieux que moi c’est çà
-Je ne sais pas ...
-Arrête ça tout de suite
-Je, je n’ai jamais fait l’amour avec lui, je ne le connais pas
-Tu aimes un homme que tu ne connais pas .... Putain, c’est quoi ces conneries de gamine ? Il a un nom, un prénom...
-Oui évidemment, mais peu importe, il est LUI. Tu ne peux pas comprendre, les hommes ne comprennent rien
-Sauf LUI, il a tout compris, lui, il t’a envoutée, ensorcelée...
-Je l’aime c’est tout, ne me demandes pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même
-Il t’a au moins rendue belle et désirable, je devrais peut être le remercier »
Sous le coup de la stupéfaction, abasourdi par tant d’ineptie, il avait clos la discussion, dissimulant son affliction et son apitoiement derrière une hypocrite dérision, songeant intérieurement que cette dérive ne serait que passagère.
La vie avait repris son cours, tant bien que mal, elle était redevenue, petit à petit la femme qu’elle était, avenante, complaisante, toujours prête à satisfaire le moindre de ses désirs avec douceur et délicatesse.
Ils n’avaient jamais cessé de faire l’amour, elle s’était même pourvue d’une nouvelle sensibilité charnelle, plus pétillante, plus osée, souvent lubrique dans ses désirs et ses plaisirs.
Cette histoire cruelle s’était évanouie dans les méandres de la vie au point que Charles s’était félicité d’avoir suivi son intuition de ne pas avoir dramatisé la situation ...
...
Marie venait de sortir de son bain, divine dans sa nudité humide, les cheveux remontés en cascade. Son soudain rôle de voyeur improvisé avait éveillé en lui cette excitation particulière qu’elle seule lui provoquait.
Il avait aimé la manière singulière avec laquelle elle avait regardé le reflet de la femme que lui renvoyait la glace embuée. Avec application et sensualité, elle avait enrobé chaque parcelle de sa peau nue de son onguent préféré aux senteurs du parfum auquel elle vouait une troublante fidélité. Ces subtiles fragrances, avaient effleurés ses narines comme des codes érotiques, émouvantes et déchirantes, lui renvoyant, à chacun de ses gestes féminisés par sa mise en beauté, des embruns volatiles de baise.
Sa silhouette amincie, sa cambrure accentuée par les hauts talons de ses mules, son cul haut et rebond surmonté de ces délicieuses fossettes qu’il aimait tant, l’avaient soudain et douloureusement ramené dans le passé.
Il la désirait tout autant, incapable d’une quelconque rancœur.
Il avait aimé quand elle enfilait sa lingerie, de délicieuses dentelles noires laissant deviner par transparence un sexe lisse et envoûtant.
Tétanisé, incapable de bouger devant cette palpitante vision, il en avait oublié son irascibilité, et même jusqu’à la raison de sa présence.
Mais par respect ou par amour, il s’était éloigné dans le silence et l’obscurité de la chambre attenante, attendant qu’elle découvre sa présence.
De légers gémissements, une respiration plus courte et saccadée, l’avait soudain sorti de sa léthargie. Emu, troublé, il venait de comprendre qu’elle était en train de se caresser à la recherche d’un plaisir solitaire.
De toute évidence c’était en songeant encore à son mystérieux amant virtuel qu’elle se masturbait dans l’intimité de son salon de bain...
Une étrange amertume venait d’envahir sa bouche...
A suivre...
Ah, c'est cruel.
Lui faire remonter des bon souvenirs sur une impression d'être périmé dans la vie de son ex-femme. Puis, ensuite, l'exciter par la vue de ce corps qu'il a aimé, l'odeur de ses parfums naturels et artificiels. Et l'achever en lui montrant qu'il n'est plus d'aucune utilité pour elle tant elle se donne du plaisir seule devant son reflet… Vous voulez le pousser au suicide ?!?
Petite part orthographique, vous vous êtes emballée sur la pléthore de e de "dégénéré" en lui octroyant celui du "rendue belle et désirable", le féminin est si volatile (attention, volatile n'est pas, dans mon esprit, une contraction de volage et futile), qu'on le retrouve parfois là où on ne l'attend pas…
Que de morosité dans l'introduction de cette nouvelle, on croirait un conte de la crypte…
Je ne sais pas s'il est valorisant de voir que les femmes savent que la rancœur des hommes n'empêchent pas la montée de l'excitation. Ne sommes nous que des sexes ?
Amitiés
Rédigé par : The Blade | 30 mai 2008 à 13:36
A THE BLADE:Serais-je cruelle? Non, je ne crois pas , les souvenirs reviennent seuls, sans la moindre intervention féminine...
Erreur corrigée, je suis en plus éourdie!
Quant à la morosité, ce sont pourtant des ambiances bien réelles...
Je vous retourne la question, ne pensez-vous vous pas que les femmes puissent agir de la même manière ou sont -elles assujetties à une morale particulière ?
Rédigé par : Mysterieuse | 30 mai 2008 à 18:45