« J’ai regardé ma part d’ombre en face
Et elle m’a souri comme une vieille amante »
Mysterieuse
Je lui demandais de me suivre. A quel moment avais-je basculé de l’autre côté ? Le côté obscur de ma personnalité.
Je montais les marches avec lenteur, consciente de sa présence derrière moi. Chaque pas me donnait un frisson, pas de peur, non, mais de lucidité. Je savais ce que je faisais. Et je savais que c’était une erreur. Mais c’était trop tard pour revenir en arrière. Je ne pensais pas, pas un instant, défier la raison. Je voulais juste qu’il me suive, qu’il s’abandonne, comme moi je l’avais fait. Il y avait en moi cette part trouble, cette zone d’ombre que j’avais trop longtemps niée. Ce soir, je la laissais parler.
Sa respiration me parvenait, irrégulière, presque haletante. Il ne comprenait pas encore ce qu’il allait perdre. Et moi ? Moi je savais déjà que je ne serais plus la même. Il ne dit rien mais ses yeux criaient, et dans ce silence, quelque chose bascula. Je voulus reculer encore, garder cette distance, ce pouvoir ambigu. Mais il me saisit par la taille. Pas violemment, mais avec une détermination que je ne lui connaissais pas. Au lieu de fuir, je me tendis vers lui. Comme une corde prête à rompre. Il m’embrassa. Et tout ce que j’avais tenu en laisse explosa. Je ne savais plus si je le désirais ou si je voulais m’abolir en lui. Tout se confondait, sa bouche, mes ongles, nos souffles, la chaleur moite de cette pièce devenue un théâtre d’ombres. Je n’étais plus cette femme qui mène la danse. J’étais le feu, la proie, la fièvre. Et lui devenait un inconnu que j’avais appelé sans comprendre. Un homme qui me répondait enfin. Trop fort. Trop vite. Trop tard.
Quand je repris conscience de mon corps, de l’espace, de la sueur sur ma peau, je le vis allongé là, vulnérable, les yeux encore accrochés au vertige. C’est à ce moment que je sus que je devais fuir. Fuir ce que je venais de laisser s’ouvrir. Ce que je ne contrôlerais plus jamais si je restais. Je me levai sans un mot. Ma robe glissa sur mes hanches, retrouvant son aplomb comme si rien ne s’était passé. Je pris mes talons à la main, marchai pieds nus jusqu’à la porte. Je ne me retournai pas, je n’en avais plus la force. Ou peut-être que je ne voulais pas voir ce que j’étais devenue.
Dehors, la nuit était tiède, presque complice. Je marchais vite, les talons à la main, le bitume encore tiède sous mes pieds. Une part de moi espérait qu’il me rattrape. L’autre priait pour qu’il ne le fasse pas. Mais il ne vint pas. Et ce fut là, dans ce silence après la fièvre, que je compris Ce n’était pas lui que je fuyais. C’était moi, cette version de moi que j’avais laissée surgir.
Je rentrai chez moi, tremblante, salie d’un feu qui ne voulait pas s’éteindre. Les jours suivants furent troubles. Je jouais la comédie du retour à la normalité sourire poli, gestes mécaniques, conversations creuses. Mais à l’intérieur, une voix s’était réveillée. Une voix qui murmurait la nuit, « Tu as aimé ça. »
Et j’avais beau me cacher, tirer les rideaux, laver les draps, rien n’y faisait. Je sentais encore son odeur, pire je la cherchais. Alors je recommençai à l’espionner, à passer devant chez lui, à relire ses messages, à me glisser dans cette zone grise entre désir et obsession. Je jurais que c’était la dernière fois. Mais je mentais. Et je mentais si bien.
Un soir, sans même m’en rendre compte, je me retrouvai devant sa porte. Mes doigts hésitaient à frapper. Mon cœur, lui, battait déjà pour une suite. Ce n’était plus moi qui décidais. J’étais redevenue l’invitée de mes propres ténèbres. Je restai là, devant sa porte, sans bouger. Le bois semblait me juger, froid et muet. J’avais envie de frapper, d’entrer, de recommencer. Mais une pensée, sourde et limpide, surgit « Ce n’est pas lui que je veux. C’est ce que je deviens avec lui. »
Et cette fois, je n’en eus pas peur. Je n’avais plus d’illusions à caresser, ni de rôle à jouer. Je savais. Ce lien n’était pas de l’amour, ni même un simple vertige de chair. C’était une faille. Un miroir fêlé où je contemplais ma part obscure, nue, fébrile… et fascinée. Je reculai lentement. Un pas, puis un autre. Chaque geste devenait clair, presque sacré, pas parce qu’il était pur, mais parce qu’il était lucide. Je ne cherchais plus à fuir, ni à contrôler. Je voulais regarder en face ce que cette rencontre avait réveillé et ce qu’elle avait fracturé.
Je rentrai chez moi sans précipitation. Je me déshabillai devant la glace, sans apprêt. Et dans mon reflet, je vis enfin cette femme que je devenais, ni victime, ni bourreau, Mais une frontière mouvante, un seuil entre la lumière et la nuit. Je ne savais pas encore ce que j’en ferais. Mais cette fois, je le saurais. Et ce serait moi qui choisirais. Je crus, un instant, que cette lucidité m’apporterait la paix, mais elle ne m’offrit pas de répit. Elle me tendit un masque un masque fait à mon image. Et je choisis de le porter. Louise était née.
Ce n’était plus une chute. C’était un pas volontaire dans l’obscur. Une marche droite, assurée, dans les profondeurs de moi-même.
Je recommençai à le voir. Pas souvent. Juste assez pour entretenir la flamme. Je lui donnais ce qu’il voulait, ce qu’il croyait vouloir, des nuits fiévreuses, des silences lourds, des mots qui griffent. Mais cette fois, c’est moi qui écrivais la partition. Je dosais l’absence. Je cultivais le manque. Je regardais ses doutes grandir pendant que je me tenais là, impassible.
Derrière mes caresses, il y avait un sourire, derrière mes regards, une stratégie. Je devenais ce que j’avais toujours craint, mais je le devenais avec grâce. Et dans ce nouveau rôle, je découvrais une forme de liberté pas la liberté de l’innocente, la liberté cruelle de celle qui connaît ses ténèbres et les fait danser au rythme de ses désirs.
Je n’étais pas une femme dangereuse. J’étais une femme qui avait cessé d’avoir peur.
© Mysterieuse 2025
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