"Ne gâchez jamais votre présent pour un passé qui n’a pas de futur."
William Shakespeare
Un sentiment étrange me traversait, le temps de l’ascension vers l’étage, un mélange indéfinissable de victoire amoindrie de la faiblesse légitime d'une femme troublée par son pouvoir de séduction, malgré son âge.
"Ce n'est pas ainsi que j'accueille mes hôtes habituellement, je leur fais faire, en général le tour du propriétaire avant de partager un pot d’accueil agrémenté de quelques spécialités locales, me précisait Mathilde, un soupçon contrariée.
- N'ayez crainte Mathilde, je ne vous en tiendrais pas rigueur. Je sais déjà que je vais me plaire chez vous et de plus, je suis peu conventionnelle. Certains dans mon entourage me qualifient même d’anticonformiste. Mais j'assume totalement !
- C'est donc parfait, vous découvrirez votre résidence demain. Nous prenons le petit-déjeuner ensemble ?
- C’est parfait pour moi. À quelle heure ?
- C'était une question, pas une obligation !
- Ah, pardon, avec grand plaisir alors, vers 8 heures."
Ce disant, Mathilde poussait la porte de ma chambre. Je découvrais une pièce très vaste, agréablement agencée, un mix entre sobriété et luxe, minimaliste, mais pas trop. Un lit King size me tendait les bras, dans un chatoiement de couleur grenade et chocolat doucement orchestré par un jeu de lumières indirectes. Une large baie vitrée donnait l'accès à une grande terrasse surplombant le jardin et la piscine exposée plein sud, me signifiait Mathilde.
"Nous verrons cela demain matin, mais je ne vois pas de bureau ! Je suis venue en grande partie pour écrire.
- Vous êtes écrivain ?
- Oui, nouvelliste, mais je me suis lancée dans l'écriture d'un roman et la sérénité de votre région me semble être un atout majeur à l’inspiration ! J’ai, en plus un grand besoin de me vider le cerveau !
- Bien, je vous laisse à présent, n’hésitez pas à nous rejoindre si le sommeil vous fait défaut. Je pense que nous allons faire durer cette soirée estivale."
Encouragement, sollicitation, comment devais je interpréter ces dernières paroles ?
Le silence s’abattait sur moi comme une chape de plomb, me replongeant dans la solitude des instants improvisés. De ces instants de vie dont j’étais seul maître, cette escapade en quête de source d’inspiration, j’espérais, le temps de la fugue, écrire une transition entre l'avant et l’après d’une histoire d’amour dont la plus infime parcelle de mon corps et de mon âme était tatouée à jamais. J’aurais pu cristalliser mes émotions légitimes du moment, ou mes rancœurs déraisonnables dans la lascivité musicale de Gustav Mahler, qui a ce talent fou de mettre en exergue la sensibilité. Mais je préférais noyer mon désarroi dans le chant des grillons d'une nuit d’été. J’ouvrais grand la baie vitrée et me laisser envahir des odeurs et des sons de la Provence, avant de me faire couler un bain ! Relaxation maximale !
Je retenais quelques larmes ... Il me manquait terriblement, déraisonnablement. Et pourtant, je prenais conscience, en rageant après moi que j’étais la seule responsable de cet échec cuisant. On ne tue pas un amour unique, on n’assassine pas une complicité hors norme ! On valide, on fonce, on ne réfléchit pas, ou très peu.
Quitte à bafouer l’écologie et les générations futures, je m’enrobai, un instant, un instant seulement d’une inconscience collective, et savourai, avec jubilation le bruit de l’eau prenant possession de la baignoire. À la seule idée de plonger mon corps dans le bain moussant, j’en éprouvais déjà un sentiment de relaxation, mais pas seulement ! L’eau à ce pouvoir, à aucun autre pareil, de vous délivrer de toutes les turpitudes et autres affres d’une vie tourmentée par les incertitudes. Pourquoi, à cet instant très particulier, prenais-je le temps de l' effeuillage ,à l' instar d' une Dita Von Teese dans la plus pure tradition du burlesque érotique ?Pour avoir vu un de ses spectacles , au Cras Horse , j'en gardais le délicieux souvenir d' une jeune femme charmante, si loin des corps stéréotypés des danseuses de la troupe locataire des lieux .Cet icône glamour , mais non moins sexy avait apporté à un simple bain , le raffinement de la nudité en un effeuillage tout en féminité , aux antipodes des archétypes habituels.
Pourquoi ? Parce que à cet instant très précis, je pensais plus profondément à lui, lui qui aimait tant la féminité en général, la mienne en particulier. Lors de notre première rencontre, son regard avait glissé sur moi comme un gant de velours épouse une main féminine tout en douceur et sensualité. Il n'avait pas cherché à voiler son attirance, et sans lui avouer nullement j’étais tombée sous le charme de ce garçon de dix ans mon cadet. Son émotion m'avait irrémédiablement troublée, plus que je ne le laissais paraître. C'était le jour de la rencontre, sans contact, si ce n'était celui de nos regards échangés, de nos baisers fantasmés, projetés dans nos esprits, comme des ombres portées nées de la lumière de nos envies. Nous avions parlé de tout, de rien, et le temps était passé trop vite. Lorsque nous nous étions quittes à l'entrée de la bouche du métro, bizarrement, nous avion écourté notre séparation, n'osant pas nous avouer, ni l'un, ni l'autre, combien l'instant était doux et douloureux à la fois. Doux parce que nous avions engendré la rencontre et douloureux parce que nous n’étions pas allés au bout de nos envies. Un simple baiser aurait pu sceller l’instant ! Nous nous le sommes avoué bien plus tard ! Ce fut notre première séparation d’une longue série.
Emportée par le souvenir de la genèse de cette idylle, j’en oubliais le bain. Il était prêt à déborder lorsque j'émergeais de ma nostalgie amoureuse ! Ma nudité me renvoyait l’image de ma maturité bien loin de la volupté de Dita. Le burlesque prenait là une tout autre dimension, plus pathétique ! Je me rassurais en songeant à " L'éloge des femmes mûres " ne serait-ce que pour le titre, ou encore à " Nuit d 'encre" de Françoise Rey dont je gardais depuis bien longtemps une citation en mémoire.
"Homme blond, mon amour...D'un rêve à l'autre, tu te ressembles. A peine vieilli, à peine marqué par vingt ans passés à te trouver, à te perdre et à te rechercher encore... Et moi qui ai grandi, j'ai gardé des trésors pour ta bouche gourmande, tes mains douces, ta queue de velours, et le clair azur de tes yeux, que fonce à peine la palpitante approche du plaisir. Que ceux-là toujours me voient avec bonté ! "
Et puis à bien y songer François Rey, avait, à son insu participé à cette rencontre. Car c’est bien elle qui m’avait initiée, au travers de mes lectures, à l’écriture érotique que mon Amour avait découvert dans mes partages sur le Word Wilde Web. D’où la rencontre.
Plutôt que de m'émerveiller face à la contingence qui fait le charme mystérieux de la vie, pourquoi est-ce que je trouve encore le moyen de me perdre dans la complexité des émotions ? Hypersensible ! Voilà la réponse. Je me prends la tête pour des détails. J’hésite ! Reviens en arrière, empêtrée dans mes petites contradictions, incapables que je suis de surfer sur la vague au moment de la saisir pour le grand frisson.
Sur ces méditations égocentriques et peu jubilatoires, je me laissai couler dans le bain, avec la ferme intention de me détendre ! Mais c’était sans compter sur la présence virtuelle de l’homme qui hantait mon esprit et mon corps !
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